Le gecko marche-t-il à l’entropie ? Adhérence humide
Version du 15 janvier 2023.
Full text in English : Is water entropy the glue used by the gecko? Wet adhesion
L’essentiel :
Comme biophysicien, j’ai considéré l’adhérence du gecko comme un système thermodynamique. L’analogie avec le processus de solvatation/agrégation des protéines (qui repose sur l’hétérogénéité hydrophile/hydrophobe de surface ) m'a permis de proposer l’hypothèse suivante :
L’énergie de formation de l’adhérence du gecko correspond, principalement, à la « fusion » (énergie entropique) de l’eau de « patchs congelés » qui était en contact avec les zones hydrophobes des spatules des soies du gecko.
Est-ce cette énergie entropique qui permet au gecko de marcher aussi efficacement au plafond et sur des supports lisses ?
Cette hypothèse permet, au moins en partie, de répondre à l’aspect déconcertant de l’augmentation de l’adhérence du gecko avec l’humidité énoncé par plusieurs auteurs.
Au fur et à mesure des prochains opus, le système thermodynamique considéré sera élargi.
Résumé du présent opus :
Comme toutes les protéines, les kératines des spatules du gecko sont composées d’acides aminés. L’hétérogénéité des fonctions latérales des acides aminés confère à la surface des spatules à la fois des zones hydrophiles (polaires) et des zones hydrophobes (apolaires).
En incluant les molécules d’eau, le système thermodynamique devient :
Surface des soies du gecko + Eau + Surface du support d’adhérence
État initial du système. Avant l’adhérence :
Dans un environnement hydrophile/humide, les surfaces hydrophobes des soies du gecko, aussi bien que les surfaces hydrophobes du support d’adhésion, sont recouvertes d'un patch congelé d'eau organisée comme-de-la-glace. Cet état thermodynamique de l’eau est celui de la moindre entropie du système.
État final du système. Adhérence :
1° Plusieurs zones hydrophobes des spatules du gecko sont en contact direct avec des zones hydrophobes du support. L'énergie des liaisons entre ces zones hydrophobes est celle des forces de van der Waals.
De leur côté, plusieurs zones hydrophiles des kératines maintiennent un environnement hydrophile autour des zones hydrophobes.
2° L’eau qui formait les patchs congelés a changé d’état. Cette eau était à l'état thermodynamique solide "comme-de-la glace", elle est devenue à l'état thermodynamique liquide. Ce changement d'état de l’eau confère à la transition du système thermodynamique depuis l’état initial (avant adhérence) jusqu’à l’état final (adhérence) une énergie (entropie) correspondant à la « fusion" de l'eau des patchs congelés.
3° Les molécules d’eau ont été « expulsées » et ont rejoint le compartiment de l’eau liquide.
L’énergie de la fusion de l'eau des patchs congelés est plusieurs dizaines de fois plus grande que celle des forces de van der Waals.
L’eau a été proposée comme étant un puissant médiateur de l’adhérence. Selon l’hypothèse entropique proposée ici, l’eau s’intègre complétement au système thermodynamique.
L’énergie de formation de l’adhésion des soies du gecko est fonction de la quantité disponible d’eau organisée comme de la glace. Deux principaux paramètres permettent d’augmenter cette quantité :
- une grande quantité d’eau totale (celle d’une "grande humidité") et
- une température basse.
Dans un système dynamique, suffit-il au gecko de remuer sa patte, ou de la faire glisser, pour fournir l’énergie nécessaire au rétablissement de l'état thermodynamique initial, celui où les zones hydrophobes de ses soies sont recouvertes de patch congelés ?
L’origine de l’eau située entre les soies du gecko est incertaine, mais
un système biomimétique devrait être alimenté en eau ! et, rappel : hétérogène hydrophile/hydrophobe.
La topologie différente des deux surfaces des spatules permet-elle au gecko son adhérence à des supports différents ?
Jean-Pierre FORESTIER Biophysicien, Ingénieur de la Beauté, apprenti bio-philosophe en résidence à Biarritz
Qui n’a pas été fasciné par ce petit lézard qui marche au plafond au-dessus de votre lit ?
Outre de savoir s’il tombera cette nuit sur votre tête, vous vous interrogez sur la manière dont il parvient à une telle prouesse.
Marcher au plafond, ou sur une vitre, est une performance que l’humanité n’a pas encore réussi à imiter. Nous volons, nous allons sur et sous la mer, mais les plafonds nous échappent encore !
De nombreux laboratoires, y compris la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency) ont cherché à comprendre les prouesses du gecko.
En termes d’énergie, les doigts du gecko lui permettent d’obtenir une force d'adhérence de plusieurs dizaines de fois son propre poids.
Vous n’avez donc rien à craindre, le gecko ne perturbera pas votre sommeil en chutant sur vous cette nuit, sauf s’il juge qu'il est plus rapide de se laisser tomber sur votre lit que de faire le tour en marchant sur les murs !
Voici plusieurs années que je me promets de proposer une approche thermodynamique de la mystérieuse adhérence du gecko.
Plusieurs publications récentes m’en apportent l’opportunité, notamment : Gecko adhesion: a molecular-simulation perspective on the effect of humidity
et
Direct evidence of acid-base interactions in gecko adhesion
Comme biophysicien, la première question que je me suis posée est : « Quel est le système thermodynamique régissant l’adhérence du gecko sur un support ? »
Le système qui est considéré, sans être énoncé, dans toutes les publications (au moins celles que j’ai pu lire), est :
Surface des soies du geckos
+
Surface du support de l’adhérence
État initial du système :
La Surface des soies du geckos est séparée de la Surface de son support d’adhérence
État final du système :
La Surface des soies du geckos adhère à la Surface du support.
Ce système passe d’un un état « désorganisé » où les deux surfaces sont séparées (état initial), vers un système « plus organisé » où les deux surfaces adhérent l’une à l’autre (état final).
Or le passage spontané d’un système thermodynamique vers un état plus organisé est en contradiction avec le Deuxième principe de la thermodynamique.
Pourtant le Gecko adhère bien à son Support !
L’élargissement de ce système thermodynamique à l'eau permet de proposer une hypothèse permettant de respecter le Deuxième principe de la thermodynamique.
Cette hypothèse utilise comme modèle le changement thermodynamique qui se produit lors de l’agrégation des protéines.
Si cette thermodynamique n’a aucun secret pour vous, vous pouvez aller directement au § de cet article Système thermodynamique : Soies du gecko + Eau + support
Pour plus de détails voir l'article Solvatation/agrégation des protéines notamment pour les contributions de Frank et Evans reprises plus tard par Charles Tanford.
Les zones hydrophiles sont conférées notamment par l’affleurement d'une ou plusieurs fonctions latérales des acides aminés les plus polaires.
Les zones hydrophobes sont conférées par l’affleurement des fonctions latérales de un ou plusieurs acides aminés les moins polaires. (Voir tableau)
En considérant le système thermodynamique incluant l’eau,
Protéine A
+
Eau
+
Protéine B
État initial du système :
Les deux protéines sont solvatées, elles sont entourées de molécules d’eau, entièrement entourée de molécules d’eau, aussi bien les zones hydrophiles que les zones hydrophobes.
Les molécules d’eau peuvent établir des interactions polaires avec les zones hydrophiles avec lesquelles elles sont en contact.
Mais comment les molécules d’eau peuvent-elles être en contact avec une zone hydrophobe d'une protéine, ces zones qui n’aiment pas l’eau ?
Schématiquement, les zones hydrophobes (surface noire) des protéines, modifie l'organisation des molécules d'eau avec lesquelles elles sont en contact. (Voir L’eau et l’hydrophobe)
Autrement dit, pour être en contact avec une zone hydrophobe les molécules d’eau forment un patch congelé au contact de chacune des zones hydrophobes
(A condition que la quantité d'eau, organisée comme de la glace, disponible soit suffisante.)
État final du système thermodynamique.
Les deux protéines sont agrégées par des zones hydrophobes.
Les forces, qui unissent entre-elles ces zones hydrophobes accolées, sont des liaisons de van der Waals, dont l'énergie est d’environ 0,4 kJ/mole.
Mais il faut aussi tenir compte de l’eau du système thermodynamique.
Lors du rapprochement entre deux zones hydrophobes :
- Les molécules d’eau qui formaient des patchs congelés ont changé d’état thermodynamique. Cette eau est passée de l’état « solide » (glace) à l’état liquide. Ces molécules d'eau rejoignent le compartiment de l'eau liquide/totale. Le gain énergétique (entropique) du système lors de cette « fusion » est compris entre 8 et 16 kJ/mole.
- Des zones hydrophiles de la protéine maintiennent un environnement hydrophile favorable à ce puissant gain énergétique.
Dans cet environnement hydrophile, l’énergie de formation d'une liaison entre les deux zones hydrophobes est principalement entropique, celle de la fusion de l'eau des patchs congelés.
Voir tableau de l'énergie des liaisons en fonction de l'environnement hydrophile/hydrophobe
Si la principale énergie de l’agrégation entre deux zones hydrophobes de la protéine est la fusion des patchs givrés, cette énergie ne peut être prise en compte que s’il existe un environnement hydrophile "protecteur" …
… ce qui implique, RAPPEL, que la surface de la protéine doit être hétérogène hydrophile/hydrophobe.
Nous avons signalé précédemment que « Les molécules d’eau peuvent établir des interactions polaires avec les zones hydrophiles avec lesquelles elles sont en contact. »
L’énergie de ces interactions polaires n’est puissante que si les fonctions latérales hydrophobes créent un environnement hydrophobe. Voir Consolidation de l’agrégation des protéines.
Il en sera de même pour la Consolidation de l’adhésion du gecko par des liaisons polaires.
Tobias Materzok, Stanislav Gorb et Florian Müller-Plathe ont montré « que ni le changement des propriétés élastiques de la kératine de gecko, ni les forces capillaires, ne peuvent expliquer à elles seules les forces d'arrachement accrues de la kératine de gecko. »
Ces « forces » puissantes pourraient s’expliquer en incluant le rôle de l'eau dans le système thermodynamique gecko-support, comme l'eau a un rôle dans le processus de Solvatation/agrégation des protéines ... tout en respectant le Deuxième principe de la thermodynamique.
Le système thermodynamique d'adhérence du gecko sur un support devient :
Surface des soies du gecko
+
Eau
+
Surface du support (humide) de l’adhérence du gecko
Des élargissements de cette hypothèse à la moindre l’adhérence sur un support sec sera exposé dans un prochain opus.
Examinons le premier élément du système, la surface des soies du gecko
À l’échelle microscopique, le dessous des pattes est constitué de forêts parallèles de micro-poils (ou soies), les sétules (ou setae). Forêt particulièrement dense puisque sous ses doigts le gecko dispose de 14 000 soies par millimètre carré.
Selon Robert Full, de Université de Californie (Berkeley), chaque soie du gecko est longue de 30 à 130 µm et son diamètre n’est qu’un dixième de celui d'un cheveu humain.
L’extrémité des soies est formée par des nanostructures en forme de spatule de 200 nm de large et de 5 nm d'épaisseur. C'est à dire quasiment la même épaisseur que celle des filaments élémentaires de kératine beta.
Les soies du gecko sont « en » kératine, comme les cheveux humains, mais avec des structures très différentes.
Organisation en deux surfaces.
« Matériau biologique omniprésent, la kératine représente un groupe de protéines insolubles, … , constituant la majeure partie des appendices épidermiques tels que les cheveux, les ongles, les griffes, les écailles de tortue, des les cornes, les fanons de baleine, les becs et les plumes. Ces matières kératiniques sont formées de cellules remplies de kératines et sont considérées comme des « tissus morts ».
Cette dernière remarque de Marc André Meyers de l’université de Californie est importante. Étant un « tissu mort », pour adhérer à un support, et s'en arracher, le gecko ne peut pas compter sur de l’énergie provenant de l’intérieur des cellules. Nous allons voir quelle est l'énergie que le gecko pourrait utiliser.
Avant d'arriver à ces hypothèses, revenons aux soies du gecko.
Les micro-poils/soies du gecko sont « en » kératine, majoritairement « en » kératine β.
Au fil des modes linguistiques, les kératines β sont subtilement devenues des « protéines bêta cornées » (corneous beta proteins = CBPs).
Les filaments de kératine β ont la particularité de pouvoir s’associer pour former une structure en feuillets plissés, qui rappellent la topologie d'une tôle ondulée ... avec un "dessus" et un "dessous".
Les fonctions latérales des acides aminés (les points bleu -"Radical" sur la figure ci-contre) peuvent être soit hydrophiles, soit hydrophobes (soit « spéciales ») ...
Voir tableau des fonctions latérales des principaux acides aminés
… créant une hétérogénéité hydrophile/hydrophobe de surface de contact avec l’extérieur, et notamment avec le support d’adhérence.
Parmi les essais effectués en 2014 par l’équipe de l’université d’Akron, l’un d’eux concerne la modification chimique de la surface des peaux des mues des orteils de geckos
Les modifications ont rendu les soies plus hydrophiles par l’oxygène (B sur la figure) ou par l'anhydride maléique (C) ou encore plus hydrophobes par perfluoro-1-dodécène (D). A correspond à des mues de soies non traitées.
L’adhérence sur un support hydrophobe a été comparée pour les quatre types de setae.
Pour les auteurs, « De manière surprenante, dans des conditions humides [Water] et sèches [Air], l'adhérence était comparable, indépendamment de la chimie de surface des poils de soie. »
Sur la figure : Non revêtus (B-S) et modifiés, par l'anhydride maléique M-S) par le perfluoro-1-dodécène (F-S,) ou par l’oxygène (P-S)
En considérant que les différents traitements chimiques rendent semblables les surfaces des poils des setae, ce peu d’effet de la chimie pourrait confirmer l’importance de l’hétérogénéité des kératines des soies dans le processus d’adhérence.
Ali Dhinojwala et ses collègues, conçoivent également « que les coussinets collants des orteils des geckos ne peuvent plus être analysés ou modélisés comme un système adhésif fibrillaire à base de protéines complétement homogène. »
L'adhésion du gecko peut donc être considérée comme résultant d'une organisation hétérogène.
L’hétérogénéité hydrophile/hydrophobe des surfaces kératiniques des spatules peut être comparée à celle des protéines dont la dissolution/agrégation qui a servi de modèle de système thermodynamique de l'adhérence du gecko.
Remarque :
L’hétérogénéité des feuillets kératines beta concerne chaque côté de la « tôle ondulée ».
Ces fonctions latérales différentes conféreraient à chaque face des spatules des topologies différentes
… et des propriétés physico-chimiques différentes
pour chacune des faces des spatules.
Ces topologies différentes permettent-elles au gecko de s’adapter à différents supports en utilisant l'une ou l'autre des surfaces de ses spatules ? Par exemple une surface mieux adaptée aux support hydrophobes et une surface mieux adaptée aux support hydrophiles ?
_
Pour que l'eau fasse partie du système thermodynamique considéré, ...
... les soies du gecko doivent être « enveloppées » d’eau, de l'eau en phase liquide, au moins la surface des spatules terminales destinées à être en contact avec le support d’adhérence.
D’où provient cette eau ? Les tentatives de réponse à cette questions seront envisagées dans un article ultérieur. $$$
La diversité des fonctions latérales des acides aminés des kératines des soies des gecko crée une hétérogénéité hydrophile/hydrophobe de surface.
Au contact avec les surfaces des zones hydrophobes, l’eau s’organise comme-de-la-glace pour former des patchs congelés, Voir L’eau et l’hydrophobe
Sur les figures de cet article j’ai représenté environ six couches de molécules séparant les soies les unes des autres. Mes études bibliographiques ultérieures (voir Le Gecko et son eau $$$) m’ont amené à penser qu’une seule couche de molécules d’eau est suffisante pour constituer une « gel instantané » (voir État de l’eau dans l’eau) qui permette d’utiliser les lois de la thermodynamique classique, plus exactement les lois de la thermodynamique stochastique/probabiliste.
L’importance primordiale de la quantité totale d’eau justifiera un exposé complémentaire ci-dessous.
Pour rester dans l’analogie avec la solubilisation/agrégation des protéines, commençons par l’adhérence des soies humides sur un support hydrophobe également humide.
À l'état initial du système,
1° Hétérogénéité La diversité des fonctions latérales des acides aminés des kératines des soies des gecko crée une hétérogénéité hydrophile/hydrophobe de surface.
La surface du support est également considéré comme hétérogène hydrophile/hydrophobe. Par exemple un plafond rendu un peu gras par des gouttelettes lipidiques entraînées par des vapeurs de cuisine et rendu humide par l'humidité ambiante.
2° Hydratation. Les soies du gecko, aussi bien que le support, sont entièrement recouverts de molécules d'eau.
3° Patchs congelés. Toutes les zones hydrophobes (celles des soies comme celles du support) sont recouvertes par de l'eau organisée en patchs congelés.
(De leur côté, les zones hydrophiles partagent des liaisons hydrogène avec des molécules d’eau liquide.
À l’état final du système :
1° Environnement hydrophile. Des zones hydrophiles maintiennent un environnement hydrophile. (Ces zones hydrophiles partagent des liaisons entre-elles, hydrogène et/ou ioniques, ces liaisons seront étudiées plus tard.).
2° Plusieurs zones hydrophobes des kératines des soies du gecko (notamment celles des surfaces des spatules) sont en contact direct avec des zones hydrophobes du support. L'énergie des liaisons entre ces zones hydrophobes est celle des forces de van der Waals).
3° L'eau qui constituait les patchs congelés en contact avec les zones hydrophobes a changé d’état : de l'état thermodynamique "comme-de-la glace", cette eau est devenue à l'état liquide. Par ce changement d'état, l'eau confère au système thermodynamique une énergie (entropie) correspondant à la « fusion" de l'eau comme de la glace des patchs congelés.
Par analogie avec le processus de solvatation/agrégation des protéines, l'hypothèse de l'adhérence des soies du gecko sur un support, dans un environnement hydrophile, devient :
Dans un environnement hydrophile, l’énergie d’adhérence du gecko sur un support hydrophobe humide correspond, principalement, à la fusion de l’eau comme de la glace qui, à l'état initial du système thermodynamique, était placée en contact avec les zones hydrophobes de soies du gecko,
à cette énergie s'ajoute :
celle de la fusion de l’eau comme de la glace qui, à l'état initial, était en contact avec les zones hydrophobes du support.
L’énergie de cette "fusion" est comprise entre de 8 à 16 kJ/mole. C'est à dire plusieurs dizaines de fois plus grande que celle des forces de van der Waals (voir ci-dessous).
Est-ce cette énergie de formation de l'adhérence qui permet au gecko de marcher au plafond ?
Remarques sur les forces de van der Waals
_Liaisons très faibles :
Les interactions de Van der Waals entre les zones hydrophobes ont une énergie de 0,4 kJ/mole.
À titre de comparaison, les liaisons hydrogène, même dans un environnement le plus défavorable (hydrophile), exercent une attraction de 2 à 6 kJ/mole. Voir le tableau sur l’effet de l’environnement sur les énergies de liaison.
Liaisons sur de très courtes distances :
Les forces de van der Waals ne sont efficaces que sur des distances très courtes (au maximum de 10 à 20 nm). La géométrie plates des spatules des soies semble la mieux adaptée à ce contact très étroit avec le support.
Le glissement des soies sur elles-mêmes (voir § ci-dessus Eau et glissement) permet-elle au gecko d’écraser ses spatules sur le support ?
… et ainsi d’optimiser son adhérence par des liaisons de van der Waals ?
... et, surtout, d’évacuer les molécules d’eau qui se trouvaient entre les spatules et le support ?
Remarque sur l'Évacuation de l’eau liquide
Lors du passage de l’état initial à l’état final (adhérence) du système thermodynamique, l’eau des patchs congelés est devenue de l’eau liquide. Pour faire partie intégrante de l’énergie utilisée par le système lors du passage de l'état initial à l'état final, cette eau liquide doit être évacuée.
L’architecture à nombreuses protrusions facilite-t-elle l’évacuation de l’eau liquide ?
Qu'en est-il de l'évaporation ?
Ces questions font l'objet d'un article séparé.
Dans leur article de 2022, Gecko adhesion: a molecular-simulation perspective on the effect of humidity, Tobias Materzok, Stanislav Gorb et Florian Müller-Plathe ont reconnu à l’eau un rôle de médiateur dans les interactions kératine-surface d’adhérence.
« L'eau, qui est absorbée dans la kératine, agit comme un médiateur, et conduit lors de l’arrachement à la contribution dominante dans l'énergie de liaisons de van der Waals, car les interactions de dispersion entre l'eau et la surface s'opposent principalement à l’arrachement. »
En effet, selon le système thermodynamique proposé dans cet article :
Surface des soies du gecko
+
Eau
+
Surface du support (humide) de l’adhérence du gecko
- plus que l’énergie des liaisons de van der Waals (qui ne peut être que de de 0,4 kJ/mole).
- c’est bien lors du pull-off que La contribution de l'eau est dominante. La reformation de patchs congelés s’oppose principalement au retour à l’état initial,
avec une énergie comprise entre de 8 à 16 kJ/mole (voir § Marche gecko, marche !)
L’eau, comme de la glace, doit également éviter que les soies du gecko se « collent » par leurs zones hydrophobes. Cette remarque sera développée dans Le gecko et son eau $$$
Le paramètre de la quantité d’eau apparait comme étant de la plus haute importance.
D’une part, pour recouvrir complétement les zones hydrophobes des soies (au moins, celles des spatules), il est nécessaire que le gecko dispose de suffisamment de molécules d’eau "organisée comme de la glace" pour créer des patchs congelés.
D'autre part, suffisamment de zones hydrophiles doivent maintenir un environnement hydrophile.
La quantité de molécules d’eau organisée comme de la glace disponible dépend de deux principaux facteurs :
- La quantité totale de molécules d’eau présente donc, pour le gecko, de l’humidité de ses soies.
- La température. Plus la température est basse, plus la quantité d’eau comme de la glace présente/disponible est grande (15% à 37°C ; à 85% à 0°C.).
(voir Eau et hydrophobe).
Dans un article de 2020, Alyssa Stark et ses collègues du Département de biologie de l’université de Villanova, comparent, avec perspicacité, l'adhérence du gecko avec celle d'un "gecko-inspired synthetic adhesive".
Les mesures d'adhérence du gecko pour deux températures et diverses humidités relatives sont les suivantes :
1° « Les performances de l’adhérence du Gecko augmentent avec l’humidité relative. »
2° À basse température (12 °C), l’adhérence est plus élevée qu'à 32°C.
Ces résultats, confirment ceux obtenus en 2008 par Niewiarowski et al. Ils correspondent bien à une augmentation des performances de l’adhérence du gecko sur un support humide en fonction de la quantité d’eau comme de la glace disponible.
En effet :
- Selon le 1°, une augmentation de l’humidité fourni au système une plus grande quantité totale de molécules d’eau donc une plus grande quantité d’eau organisée comme de la glace (ice-like-water) participant à l’énergie d'adhérence.
- Selon le 2°, plus la température est basse, plus la proportion d’eau comme de la glace disponible est grande.
Dans un article de 2011, l’équipe de l’université d’Akron jugeait déconcertante (puzzling) les observations d'une augmentation de l'adhérence des soies avec une humidité élevée
La considération d’un système thermodynamique incluant l’eau permet de comprendre pourquoi l’adhérence est plus forte avec une quantité élevé d’eau. En effet, plus la quantité d'eau liquide est élevée plus la quantité élevée d'eau "comme de la comme de la glace" disponible pour participer à la formation de l'adhérence est élevée.
Les résultats pour le « gecko-inspired synthetic adhesive » suivent assez bien celles du gecko, sauf à 80%HR. Des hypothèses concernant les contre-performances du gecko à 32°C seront envisagées dans l’article : Évacuation de l’eau liquide. Protrusions.
Alyssa Stark évoque également un adoucissement (softening) des matériaux provoqué par l'eau et qui jouerait un rôle prépondérant dans l'efficacité de l’adhésion.
À l’échelle micrométrique, les molécules de l’eau certainement des fonctions mécaniques.
Même si comme le note, à juste titre, Tobias Materzok, Stanislav Gorb et Florian Müller-Plathe « ... le changement des propriétés élastiques de la kératine ... ne peut expliquer à elles seules les forces d'arrachement accrues de la kératine de gecko. », il est indispensable de les considérer.
L’amélioration des propriétés mécaniques des kératines des soies du gecko peut permettre :
- l'écrasement des soies sur le support d’adhérence, conférant un meilleur contact entre les surfaces hydrophiles et hydrophobes
- évacuer l'eau liquide des spatules
- et, ultérieurement, pour libérer sa patte du même support.
Et en premier, en considérant l’ensemble des soies, l’eau pourrait permettre le glissement des soies l’une sur l’autre.
Concernant les modifications des propriétés mécaniques des kératines, celles du cheveu humain sont connues pour absorber l’eau atmosphérique.
… et provoquer des frisottis (à gauche), …
La modification mécaniques des kératines du cheveu humain est suffisamment reproductible pour permettre de mesurer l’humidité de l’air.
Quand je pose la plante de mon pied sur un parquet froid, j’observe une trace de buée ! c'est à dire une condensation de l'eau en phase vapeur en de l'eau en phase liquide.
Mais, si mon pied humide m’évite de glisser sur le parquet, hormis dans mes rêves, je ne parviens pas à marcher au plafond !
Je note également que, comme pour le gecko (?), l'adhérence de la plante de mes pieds humides est excellente bien que le parquet soit hydrophobe.
De même, je tiens facilement dans ma main une bouteille d’eau minérale gazeuse en polyéthylène téréphtalate, matière particulièrement hydrophobe.
_ S’il peut rester immobile au plafond, le gecko peut aussi y marcher, il est vrai plus lentement que quand il court sur le plancher, mais la position de la patte peut être renouvelée entre vingt et cent fois pas seconde. (Comme s'il cherchait la meilleure adhérence)
S’il est nécessaire de considérer l’adhérence statique, il importe de ne pas oublier le paramètre dynamique.
Le système thermodynamique gecko-eau-support a été proposé par analogie au processus de solubilisation/agrégation des protéines.
L'arrachement du support est analogue à celui de la solubilisation des protéines.
Dans un environnement hydrophile (humide), l'énergie à fournir au système thermodynamique doit être suffisante ...
- non seulement pour rompre les (faibles) liaisons de Van der Waals
- mais surtout recréer un patch congelé contre les deux surfaces hydrophobes (baisse d'entropie)
Sont-ce ces énergies que doit déployer le gecko pour marcher sur un plafond ?
Évolution du système dans le sens arrachement /pull-off :
Le mouvement et/ou le glissement de sa patte procurent-elles l’énergie suffisante pour que ses soies soient de nouveau recouvertes de molécules d’eau organisées en patchs congelés ? c'est à dire, pour remettre le système thermodynamique dans son initial/"natif".
Remarques :
- Selon cette hypothèse des mouvements de la patte du gecko, l'énergie d’arrachement (donc aussi celle de l'adhérence) serait bien fournie par "l'extérieur" et non pas par un métabolisme interne des doigts, ce qui confirmerait l'hypothèse envisagée dans le § kératines.
- Néanmoins, le métabolisme du gecko doit fournir de l’eau au système ! Ainsi, nous le verrons, que de mystérieux phospholipides $$$
Dans un environnement « sec », l’énergie (entropie) d’adhérence est restreinte à celle fournie par la fusion des patch congelés qui se trouvaient en contact avec les zones hydrophobes des soies du gecko.
Cette moindre quantité d'eau entrant en fusion, donc ce moindre gain d'entropie, est en accord avec l’observation d’une moindre adhérence du gecko dans un environnement sec que dans un environnement humide.
Les micro-bulles d’air pourraient permettre aux soies du gecko de s’adapter à la surfaces du support.
L’énergie (entropie) fournie par le changement d’état de l’eau serait maintenue.
- Consolidation des liaisons d’adhérence
- Ces mystérieux phospholipides