Le Gecko et l'humidité
Points essentiels :
Absorption et ouverture de la chaîne kératinique.
Il a récemment été montré que les kératines des soies du gecko absorbent des molécules d’eau prélevées sur l’humidité de l’air. Cette absorption est biphasique.
La deuxième phase qui apparaît à partir de 80%HR peut être interprétée selon le modèle de la solubilisation/agrégation des protéines. La quantité d’eau organisée comme de la glace devient suffisante pour « solubiliser » des zones hydrophobes qui étaient situées dans la structure interne des kératines. Cette « solubilisation » provoque l’ouverture de la structure protéique, et s’accompagne d’une diminution des propriétés mécaniques des kératines du gecko.
Adhérence et humidité
Le renforcement de l’adhérence du gecko en fonction d'un accroissement de l’humidité de l’air avait pu être interprétée comme la présence d’une plus grande quantité d’eau « organisée comme de la glace » disponible pour l’adhérence.
L’ouverture de la structure kératinique permet d’interpréter l’anomalie observée à 32°C pour une humidité de l’air d’environ 80%HR (flèche beige) :
1° les zones hydrophobes qui ont été libérées lors de la transition de phase ne participent pas à l’adhérence.
2° le coefficient de partition de "l’eau comme de la glace" disponible est en faveur des nouvelles zones hydrophobes, au détriment des zones hydrophobes d’adhérence
3° Une agrégation des soies entre-elles est envisageable.
Le remplissage des sites de fixation des molécules d’eau suit-il un processus de percolation à deux dimensions ?
Ce remplissage forme-t-il un gel instantané selon une surface topologique d’une seule couche de molécules d’eau ? ... permettant un effet à longue distance ?
Les sites de condensation des molécules d’eau atmosphérique pourraient être les fonctions hydroxyles des sérines et des tyrosines des kératines beta du gecko
Comme le montre la figure ci-contre, l’humidité relative de l’air (c'est à dire la proportion d’eau présente à l’état gazeux) a une incidence nettement favorable sur l’adhérence du gecko.
Une conclusion préliminaire s’impose : si l’humidité fournit au système thermodynamique une énergie d'adhérence, c’est que les kératines du gecko absorbent des molécules d’eau prélevées sur l’humidité ambiante.
En intégrant l’eau au système thermodynamique d'adhérence (voir Le gecko marche-t-il à l’entropie), l’eau a acquis un rôle essentiel dans l'adhérence du gecko.
Par analogie avec le processus de solvatation/agrégation des protéines, l’énergie de formation de l’adhérence du gecko serait, principalement, fournie par la « fusion » (gain d'entropie) de l’eau organisée comme de la glace des « patchs congelés ». À l’état initial, ces patchs congelés étaient en contact avec les zones hydrophobes des spatules des soies du gecko.
Remarque : ces zones hydrophobes sont celles des kératines des spatules mais, dans certaines conditions, l'hydrophobicité peut être améliorée (relayées ?) par des phospholipides (ce sujet fera l'objet d'un autre article)
Pour utiliser l'eau dans un système entropique d'adhérence, il est nécessaire que le gecko dispose de suffisamment de molécules d’eau pour couvrir à la fois les zones hydrophiles et les zones hydrophobes de ses spatules.
Spatula : partie terminale des soies qui est en contact avec le support d’adhérence.
1° les zones hydrophiles sont indispensable pour maintenir un environnement hydrophile (Rappel, c'est uniquement dans un environnement hydrophile que l'énergie de formation de liaisons entre zones hydrophobes est grande, voir Agrégation des protéines)
Par ailleurs, les zones hydrophiles assurent une autre fonction, celle de la Consolidation de l’adhésion du gecko par des liaisons polaires
2° Rappel : En passant de l’état solide à l’état liquide, l’eau des patchs congelés des zones hydrophobes, fournit la plus grande part de l'énergie de l'adhérence du gecko.
L'eau « comme de la glace » est une des formes présentes statistiquement dans l’eau liquide.
L’eau liquide est un mélange instantané (un gel instantané) d’eau « en vrac » et d’eau « organisée comme de la glace ». La proportion de chacune des formes/états est fonction de la température mais c’est la quantité totale d’eau liquide qui est déterminante pour permettre à notre gecko de recouvrir les spatules, et lui permettre son adhérence.
La quantité d’eau absorbée par les kératines du gecko à partir de l’humidité de l’air a fait l’objet de travaux très récents publiés principalement par l’Université technique de Darmstadt : en 2022 :
Water uptake by gecko β-keratin and the influence of relative humidity on its mechanical and volumetric properties … et, en 2023
: Understanding Humidity‐Enhanced Adhesion of Geckos: Deep Neural Network‐Assisted Multi‐Scale Molecular Modeling
Le calcul de la teneur en eau des β-kératines du gecko en fonction de l'humidité relative est reporté sur la figure ci-contre (cercles noirs). Isotherme à 27°C.
Les cercles ouverts correspondent aux écailles d’un serpent Naja nigricollis considérées comme référence de la kératine β. La proximité des deux séries de valeurs est considéré comme un argument en faveur de la prépondérance de l’absorption de l’humidité de l’air par les kératines beta des spatules du gecko.
L'observation de cette courbe conduit à plusieurs conclusions :
1° Les kératines du gecko absorbent l’eau de l’humidité de l’air. Le corollaire immédiat est que si des molécules d’eau se fixent sur les kératines, c’est qu’il existe des sites de fixation sur ces kératines. La nature présumée de ces sites est proposée ci-dessous au § Percolation.
Cette fixation peut être interprétée selon un coefficient de partition des molécules d’eau entre l’air (l’humidité) et les kératines. Dans le schéma classique ci-contre, la partition d’un molécule X correspond à la plus grande solubilité (probabilité de liaisons) de la molécule X dans l’éther que dans l’eau
2° La quantité d’eau absorbée par les kératines du gecko croit avec l’humidité. Dit autrement : plus l’air contient de molécules d’eau, plus celles-ci se fixent sur ces kératines.
3° On pourrait penser que le nombre des sites des kératines sur lesquels les molécules d’eau se fixent est matériellement limité et qu’à partir d’une certaine humidité relative, la quantité d’eau absorbée devient stable. Or aucune saturation n’est pas observée.
Comme le note les auteurs des deux publications précédemment citées, la courbe observée est assez semblable à celles enregistrées pour des kératines alpha.
Un exemple peut être donné par les courbes publiées récemment par Crisan Popescu et son équipe. La figure ci-contre représente la quantité d'eau absorbée pour des cheveux non traités U, ayant été traité par une « permanente » P3 ou par une « décoloration » E3.
Isotherme à 25°C, donc comparable à la courbe précédente.
Comme le note également les auteurs de l’Université technique de Darmstadt , on peut observer que la kératine du gecko absorbe moins d’eau que les kératines du cheveu, environ deux fois moins à 80° d’humidité relative
Les cheveux n’ayant pas l’adhérence pour fonction, une comparaison plus pertinente pourrait être faite avec le calus corné de la plante des pieds. Figure de droite selon Irvin Blank). Isotherme à 23°C
Selon ces valeurs les calus des pieds absorberaient environ trois fois plus d’eau que les soies du gecko.
Il est également intéressant de noter que les formes des courbes d’absorption pour le gecko et le calus sont assez semblables, et très différentes de la courbe d’absorption par le cheveu. Or les calus des pieds comme les setae du gecko tous les deux destinés à une adhérence.
Quand je pose la plante de mon pied sur un parquet froid, j’observe une trace de buée ! c'est à dire une condensation de vapeur d'eau en eau en phase liquide.
Mais, si mon pied humide m’évite de glisser sur le parquet, hormis dans mes rêves, je ne parviens pas à marcher au plafond !
Mon incapacité de marcher au plafond montre à l'évidence que même si la quantité d’eau disponible est un facteur important de l’énergie de formation de l’adhérence du gecko, la géométrie des setae (ci-contre) est déterminante pour assurer cette adhérence, ainsi que la répartition des zones hydrophiles et hydrophobes !
Ou, pour plagier Stanislav Gorb, l'humidité ne peut pas expliquer à elle seule les forces d'arrachement accrues de la kératine de gecko.
Pour rester dans le domaine de l’hydratation de la plante du pied, la publication de Diyana Tasron et de son équipe de l’Université de Sheffield (UK) permet de faire une hypothèse supplémentaire concernant les subtilités du mécanisme d'adhérence du gecko.
Diyana Tasron et al. ont montré que la friction provoque une augmentation de la teneur en eau de la plante du pied.
Plusieurs travaux sur le gecko évoquent, plus ou moins directement, le rôle de la friction dans l’adhérence du gecko.
Par exemple :
- Recent advances in gecko adhesion and friction mechanisms and development of gecko-inspired dry adhesive surfaces
- Adhesive force of a single gecko foot-hair
- Gecko adhesion pad: a smart surface?
Quand le gecko est posé sur une surface très inclinée, il glisse plus ou moins avant de stabiliser son adhérence. Ce glissement lui permet d’orienter convenablement ses spatules. Le frottement généré lui permettrait-il, de plus, d’augmenter la quantité d’eau présente sur ses spatules ? donc d'améliorer son adhésion ?
Revenons à la courbe publiée dans Water uptake by gecko β-keratin and the influence of relative humidity on its mechanical and volumetric properties … qui montre que la quantité d’eau absorbée par ces kératines croit avec l’humidité.
Développons d’autres conclusions/hypothèses.
Entre 0°HR et environ 80°HR, la quantité d’eau absorbée croit quasi-linéairement avec l’humidité (ligne pointillée marron), puis de nouveau quasi-linéairement entre 80 et 100°HR (ligne pointillée bleue).
Nous reviendrons plus tard sur ce remplissage progressif des sites récepteurs des molécules d’eau $$$
Nous avons déjà remarqué que la courbe ne présente aucune saturation.$$$
Non seulement une saturation n’est pas observée mais, au contraire, à partir de 80°HR la quantité d’eau absorbée croit davantage. Cette plus grande quantité d'eau absorbée par unité d'humidité est visualisée par une nette augmentation de la pente (ligne pointillée bleue).
Pour rendre compte de cette brusque modification, les auteurs de cette courbe évoquent « une augmentation des distances entre les acides aminés. » ainsi « qu’un gonflement ... de la kératine et une diminution de l'interaction intermoléculaire entre les chaînes d'acides aminés. »
Concernant le cheveu, Crisan Popescu et son équipe, déjà cité, ont également constaté, pour certaines humidités relatives, des transitions (barres grises) correspondant à des diminutions des propriétés mécaniques du cheveu. Isotherme à 25°C
Comme les auteurs de l’Université technique de Darmstadt , Crisan Popescu attribue ces changements de pente à une « mobilité des chaînes de protéines ".
Plus précisément, pour Crisan Popescu, ces transitions (au moins l’une d’entre elle) peut être « attribuée à l'ouverture de la structure interne du cheveu »
Par analogie avec la solvatation/agrégation des protéines, cette ouverture peut être attribuée à la séparation de deux zones hydrophobes Cette séparation se produirait quand la quantité d’eau organisée « comme de la glace » est suffisante pour couvrir les deux zones hydrophobes, qui étaient auparavant agrégées
Direction of solubilisation
Cette ouverture/séparation de la structure protéique interne entraîne plusieurs conséquences :
1° De l’eau organisée comme de la glace est mobilisée pour créer des patchs congelés sur les zones hydrophobes nouvellement accessibles à l’eau liquide.
2° La structure des kératines est modifiée. Cette structure était précédemment verrouillée par des « interactions hydrophobes ». La "solvatation" des zones hydrophobes provoque la libération de zones hydrophiles qui étaient déjà présentes dans la structure interne du cheveu, ou dans celle des kératines des spatules du gecko.
3° La libération des zones hydrophiles entraîne une augmentation du nombre de sites récepteurs des molécules d’eau. En effet, la fixation de nouvelles molécules d’eau correspond à une augmentation supplémentaire de la masse des kératines en fonction de l’humidité relative (ligne pointillée bleue).
4° Le « relâchement » des structures kératiniques provoquent une perte d’élasticité des kératines du gecko (et, de plus, pour les cheveux l’apparition de frisottis).
Il n’est pas irréaliste de penser que le contact (vérouillage) entre les zones hydrophobes participe à l’élasticité des kératines (notamment pour une humidité relative inférieure à 80%). Ce ne serait qu’une transposition à l’échelle moléculaire de la force à l’arrachement (pull-off) observée pour les spatules du gecko
D’après Danielle Dhouailly les soies du gecko ne contiennent aucune kératine amorphe, individualisée en tant que telles, comme elles sont présentes, par exemple, dans le cheveu.
Les ouvertures des structures protéiques des kératines du gecko se produisent probablement dans les parties « random coil » des protéines, voir flèches, c'est à dire les parties dont la structure secondaire des kératines n’est pas périodique, mais seulement soumise à un effet purement entropique.
Tout ce qui a été exposé ci-dessus permet de reprendre l'interprétation de la figure rapportée dans l'introduction de cet article, et exprimant le renforcement de l'adhérence avec l'augmentation de l'humidité de l'air à deux températures.
Rappel des conclusions concernant cette figure et déjà exposées dans Le Gecko et l’entropie : une plus grande quantité d'eau liquide fournit au système thermodynamique une plus grande quantité d’eau organisée comme de la glace (ice-like-water), donc une plus grande quantité de patchs congelés.
En changeant d'état (en devenant liquide), l'eau des patchs fournit la principale énergie d'adhérence du gecko. Cette figure concerne deux paramètres permettant au système de disposer d'une plus grande quantité d’eau comme de la glace disponible :
1° Une plus grande quantité d’eau totale, elle-même apportée ici par une plus grande humidité de l'air, permet une plus grande adhérence.
De leur côté, les auteurs de How does gecko keratin stick to hydrophilic and hydrophobic surfaces in the presence and absence of water? ont récemment confirmé que « la force de traction augmente avec l'augmentation de la teneur en eau »
2° Une température basse (12°C). En effet, plus la température est basse, plus la proportion d’eau comme de la glace est grande (points bleus).
Parallèlement aux modifications à l'échelle moléculaires des kératines du gecko exposées dans le § Absorption de l’eau par les soies du gecko, les auteurs de la courbe ci-contre précisent que « Nous avons constaté qu'une HR plus élevée [que 80°] provoque une diminution du module de Young*, de la limite d'élasticité, de la contrainte à la rupture et d'une augmentation de la déformation à la rupture des kératines du gecko. » En d'autres termes, les propriétés mécaniques des kératines sont fortement affaiblies à partir de d'une humidité de 80°HR. Les kératines deviennent plus "molles" !
* Le Module de Young traduit l'élasticité d'un matériau, c'est-à-dire la relation qui lie la déformation du matériau à la force qu'il faut fournir pour le déformer.
Remarques : des semblables modifications des propriétés mécaniques peuvent être observées pour une simple éponge « végétale ».
Sèche, elle est « rigide », légèrement humide elle acquiert une certaine élasticité, complétement mouillée est devient « molle ».
Il en est de même pour une éponge « de mer » dont la structure est apparentée aux collagènes, c'est à dire à des protéines, comme le sont les kératines.
Les observations de Stark (rappelées sur la figure ci-contre) permettent-elles de rendre compte des différentes modifications des propriétés mécaniques apportées par une augmentation de la teneur en eau ? Eau apportée par une augmentation de l’humidité relative.
Plusieurs facteurs limitent l’interprétation :
- le faible nombre de valeurs expérimentales, et les larges intervalles de confiance (représentés par les barres d’incertitude)
- les températures utilisées sont de 12°C et 32°C, alors que l’isotherme d’absorption de l’humidité a été réalisé à 27°C (néanmoins assez proche de 32°C)
Ces restrictions faites, les interprétations pourraient être les suivantes :
À 12°C, la proportion d’eau comme de la glace disponible est grande. La quantité de patchs congelés en contact avec les zones hydrophobes est grande, suffisamment grande pour solubiliser/ouvrir des zones hydrophobes pour une moindre quantité totale d’eau liquide.
La transition semble effectivement translatée vers une humidité relative d'environ 60%, sensiblement inférieure à 80%HR.
À 32°C, la quantité d'eau "comme de la glace" disponible pour créer des patchs congelés est beaucoup plus faible qu’à 12°C.
La transition aurait lieu vers 80°HR ou serait décalée vers des humidités un peu supérieures (27°C est relativement proche de 32°C).
Mais un autre phénomène doit être considéré : la transition de phase provoque l’ouverture des chaînes protéiques.
À 12°C, après la transition de phase, la quantité d’eau organisée comme de la glace est suffisante pour créer des patchs congelés à la fois sur les zones hydrophobes d’adhésion du gecko ET sur les zones hydrophobes qui ont été ouvertes. L’adhésion reste puissante, même si la baisse de la pente (ligne pointillée bleu) peut être interprétée comme une perte relative de sa force.
À 32°C, après la transition de phase, la quantité de patchs congelés devient insuffisante. L’eau organisée comme de la glace doit se repartir entre les zones hydrophobes d’adhésion du gecko et les nouvelles zones hydrophobes.
L'observation de la baisse brutale de l’adhérence (flèche beige) peut être interprétée de plusieurs façons :
1° les zones hydrophobes libérées par la transition de phase ne participent pas à l’adhérence.
2° le coefficient de partition de "l’eau comme de la glace" disponible serait en faveur des nouvelles zones hydrophobes au détriment des zones d’adhérence.
3° Il est également possible que le manque d’eau "organisée comme de la glace" provoque une autre agrégation, par leurs zones hydrophobes, celle des soies entre-elles .
Les conséquences de cette agrégation seraient les suivantes :
i) ces zones hydrophobes des soies agrégées ne sont plus disponibles pour fournir de l'énergie entropique à adhérence sur le support.
ii) certaines soies se retrouveraient « coller » ensemble. Elles ne pourraient plus glisser l’une contre l’autre, minimisant la surface de contact avec le support.
La photographie ci-contre pourrait être un exemple d’une agrégation des spatules. L’équipe de l’université d’Akron a modifié les setae du gecko par un procédé chimique (voir Hétérogénéité des setae du gecko). Des agrégations entre les spatules, flèches jaunes, ont été observées quand les setae sont devenues plus hydrophobes. Plus hydrophobes, pour être « solubilisées », les surfaces des spatules exigent davantage d’eau comme de la glace pour pouvoir constituer des patchs congelés contre les zones hydrophobes. Si cette quantité d’eau comme de la glace disponible est insuffisante, les spatules s’agrègent par leurs zones hydrophobes.
La température indiquée par les auteurs est « room temperature », selon mon hypothèse entropique, il est probable qu’avec une température inférieure (par exemple 12°C) ces spatules devenues plus hydrophobes auraient été moins agrégées, voire pas du tout !
Cette interprétation de l'anomalie à 80%HR, 32°C, s’ajoute à celle déjà été attribuée à un manque de refroidissement dans le § Évaporation de l’eau. Or, le refroidissement des setae permet de disposer d’une plus grande quantité plus grande d’eau organisée.
Dans le même article “The effect of substrate wettability and modulus on gecko and gecko-inspired synthetic adhesion in variable temperature and humidity » Alyssa Stark et ses collègues comparent, l'adhérence du gecko avec celle d'un "gecko-inspired synthetic adhesive".
Les interprétations des résultats reportés sur la figure ci-contre pourraient être les suivantes :
- les forces d’adhésion à 12°C sont supérieures à celles observées à 32°C, laissant présumer que l’adhérence du "gecko-inspired synthetic adhesive" s’apparente à celle d’un système thermodynamique utilisant la « fusion » des patchs congelés recouvrant les zones hydrophobes. Voir Is water entropy the glue used by the gecko?
Nous pouvons en déduire que le "gecko-inspired synthetic adhesive" comporte à la fois des zones hydrophiles et des zones hydrophobes
- les deux courbes sont approximativement “parallèles », laissant présumer que l’absorption de l’eau est monophasique. C'est à dire qu’une grande quantité d’eau ne provoque pas une ouverture des chaînes du "gecko-inspired synthetic adhesive" comme celle observée pour le gecko.
- la baisse relative des forces d’adhésion à 80%HR peut être interprétée comme une simple saturation des zones hydrophobes utilisées pour l’adhérence.
Cinétique d’absorption et Percolation
Bien qu’elle ne semble pas avoir été publiée, la cinétique d’absorption de la vapeur d’eau par les kératines du gecko pourrait apportées quelques informations complémentaires.
Pour le cheveu, l’observation selon laquelle l'accroissement de masse est linéaire en fonction de la racine carrée du temps montre que la vapeur d’eau pénètre en suivant la simple loi de la « diffusion physique d’un gaz dans un solide" (Jean-Pierre Forestier).
Cette « Cinétique » d’accroissement de masse varie en fonction de la nature du cheveu, châtain ou noir, et du traitement, par exemple, une décoloration.
Qu’en est-il pour le gecko ? Que devient la cinétique d’absorption de la vapeur d’eau notamment quand les orteils du gecko sont modifiés chimiquement comme l’ont fait l’équipe de l’université d’Akron (Voir § Le gecko marche-t-il à l’entropie et Relation entre l’humidité absorbée et les propriétés mécaniques ci-dessus)
La linéarité de l’augmentation de masse en fonction de la racine carré du temps peut surprendre. Ce résultat laisse présumer que l’eau se fixe selon une surface, c'est à dire selon deux dimensions. Ceci malgré que le substrat récepteur des molécules d’eau soit dans un volume, représenté par les trois dimensions du « cylindre » constitué par le cheveu.
De leur côté, Crisan Popescu et son équipe, notent que lors de l’absorption de l’eau par le cheveu, c'est une monocouche de molécules d’eau qui couvre la « surface interne » des kératines.
Le modèle d’une surface topologique d’une seule couche de molécules d’eau semble le mieux adapté à l’absorption de l'humidité de l'air.
(La topologie fait référence à un espace dont les propriétés sont « préservées par déformation continue sans arrachage ni recollement ».)
Le processus physique de remplissage des sites des kératines peut être considéré comme une percolation sur deux dimensions, molécule d'eau par molécule.
Dans Molecular Structure and Dynamics in Wet Gecko β-Keratin, Eslami, Materzok et Müller-Plathe font également allusion à la formation d’un réseau d'eau percolante consécutive à une augmentation de l'humidité relative.
En s’inspirant de la percolation décrite par Pierre-Gilles De Gennes, quand suffisamment de molécules d’eau sont jointives, c'est à dire quand elles peuvent échanger une ou plusieurs liaisons hydrogène, elles forment une gel instantané à deux dimensions. Voir L’eau et l’hydrophobe (la figure ci-contre est très schématique)
Les trois remplissages schématisés ci-dessus pourraient représenter trois humidités relatives différentes
P == 0,04 : moins de 10°HR ? Le nombre de molécules d’eau est insuffisant pour former une surface topologique.
P == 0,05 : environ 40°HR ? Deux surfaces distinctes sont formées. Chacune des surfaces topologique forme un gel instantané où les lois classiques de la thermodynamiques s'appliquent.
P == 0,08 : environ 70%HR ? Tous les sites possibles de fixation sont liés à des molécules d’eau.
Quand ce gel instantané est formé, il devient alors envisageable que les lois de la thermodynamique classique/stochastique s’appliquent à cette surface topologique.
Pour être plus précis il semble nécessaire que le nombre de molécules d’eau doive être suffisamment grand pour qu’au moins une molécule d’eau ce gel soit liée, à chaque instant, par quatre liaisons hydrogène.
Un autre exemple est donné par la figure ci-contre.
Pour p : 0,35 (à gauche) les surfaces topologiques seraient trop petites.
Pour p : 0,5 quelques surfaces topologiques seraient suffisamment larges pour contenir au moins une molécule d’eau organisée comme de la glace et assurer une petite adhérence.
Pour p : 0,65 les surfaces topologiques sont larges et la probabilité que plusieurs molécules d’eau soient liées par quatre liaisons hydrogène est grande. Une bonne adhésion du gecko peut être assurée.
La figure de percolation ci-dessus a été empruntée à l'article de Pour la Science : La percolation, un jeu de pavages aléatoires
L’effet longue-portée signalé par Materzok, Canestraight, Gorb, et Müeller-Plathe comme déterminant une grande partie du processus de pull-off pourrait être simplement relié aux propriétés de la surface topologique du gel instantané. Voir le § de L’eau et l’hydrophobe
Les liaisons hydrogène s’échangent avec une fréquence de 1012
Un patch congelé peut se former contre une zone hydrophobe alors que l’instant précédent des molécules d’eau organisées comme de la glace étaient présentes à tout autre endroit de la surface topologique, y compris à longue-distance.
L’existence de site de fixation des molécules d’eau sur les kératines du gecko a été démontrée par l’absorption de l’eau de l’humidité de l’air. Voir 1°. Corollaire
Plusieurs « noyaux de condensation » peuvent être envisagés, au moins, dans la première phase (avant ouverture des chaînes)
Les kératines beta contiennent environ 10% de serines auxquelles s’ajoutent 10% de tyrosines ce qui en fait des protéines épidermiques particulièrement riches en groupes hydroxyles (-OH). Ces groupes peuvent « facilement » établir des liaisons hydrogène avec l’eau et être des noyaux de condensation privilégiés.
La percolation sur deux dimensions comme celle envisagée dans cet article ne se fait pas au simple hasard du remplissage mais les molécules d’eau de l’atmosphère se fixent préférentiellement sur ces noyaux. Cette fixation préférentielle favorise la probabilité de créer des surface topologiques de gels instantanés donc de surfaces d’eau liquide obéissant aux lois de la thermodynamique classique
L’essentiel :
Comme biophysicien, j’ai considéré l’adhérence du gecko comme un système thermodynamique. L’analogie avec le processus de solvatation/agrégation des protéines (qui repose sur l’hétérogénéité hydrophile/hydrophobe de surface ) m'a permis de proposer l’hypothèse suivante :
L’énergie de formation de l’adhérence du gecko correspond, principalement, à la « fusion » de l’eau de « patchs congelés » qui était en contact avec les zones hydrophobes des spatules des soies du gecko.
Est-ce cette énergie entropique qui permet au gecko de marcher aussi efficacement au plafond ?
Cette hypothèse permet, au moins en partie, de répondre à l’aspect déconcertant de l’augmentation de l’adhérence du gecko avec l’humidité énoncé par plusieurs auteurs.
Au fur et à mesure des prochains opus, le système thermodynamique considéré sera élargi.
Résumé du présent opus :
Comme toutes les protéines, les kératines des spatules du gecko sont composées d’acides aminés. L’hétérogénéité des fonctions latérales des acides aminés confère à la surface des spatules à la fois des zones hydrophiles (polaires) et des zones hydrophobes (apolaires).
En incluant les molécules d’eau, le système thermodynamique devient :
Surface des soies du gecko + Eau + Surface du support d’adhérence
État initial du système. Avant l’adhérence :
Dans un environnement hydrophile/humide, les surfaces hydrophobes des soies du gecko, aussi bien que les surfaces hydrophobes du support d’adhésion, sont recouvertes d'un patch congelé d'eau organisée comme-de-la-glace. Cet état thermodynamique de l’eau est celui de la moindre entropie du système.
État final du système. Adhérence :
1° Plusieurs zones hydrophobes des spatules du gecko sont en contact direct avec des zones hydrophobes du support. L'énergie des liaisons entre ces zones hydrophobes est celle des forces de van der Waals.
De leur côté, plusieurs zones hydrophiles des kératines maintiennent un environnement hydrophile autour des zones hydrophobes.
2° L’eau qui formait les patchs congelés a changé d’état. Cette eau était à l'état thermodynamique solide "comme-de-la glace", elle est devenue à l'état thermodynamique liquide. Ce changement d'état de l’eau confère à la transition du système thermodynamique depuis l’état initial (avant adhérence) jusqu’à l’état final (adhérence) une énergie (entropie) correspondant à la « fusion" de l'eau des patchs congelés.
3° Les molécules d’eau ont été « expulsées » et ont rejoint le compartiment de l’eau liquide.
L’énergie de la fusion de l'eau des patchs congelés est plusieurs dizaines de fois plus grande que celle des forces de van der Waals.
L’eau a été proposée comme étant un puissant médiateur de l’adhérence. Selon l’hypothèse entropique proposée ici, l’eau s’intègre complétement au système thermodynamique.
L’énergie de formation de l’adhésion des soies du gecko est fonction de la quantité disponible d’eau organisée comme de la glace. Deux principaux paramètres permettent d’augmenter cette quantité :
- une grande quantité d’eau totale (celle d’une "grande humidité") et
- une température basse.
Dans un système dynamique, suffit-il au gecko de remuer sa patte, ou de la faire glisser, pour fournir l’énergie nécessaire au rétablissement de l'état thermodynamique initial, celui où les zones hydrophobes de ses soies sont recouvertes de patch congelés ?
L’origine de l’eau située entre les soies du gecko est incertaine, mais
un système biomimétique devrait être alimenté en eau ! et, rappel : hétérogène hydrophile/hydrophobe.
La topologie différente des deux surfaces des spatules permet-elle au gecko son adhérence à des supports différents ?
Version du 7 novembre 2022
Full text in English : Is water entropy the glue of the gecko? Dry support adhesion
Dans un environnement « sec », l’énergie (entropie) d’adhérence est restreinte à celle fournie par la fusion des patch congelés qui se trouvaient en contact avec les zones hydrophobes des soies du gecko.
Cette moindre quantité d'eau entrant en fusion, donc ce moindre gain d'entropie, est en accord avec l’observation d’une moindre adhérence du gecko dans un environnement sec que dans un environnement humide.
La disparition de l’eau par évaporation peut conduire notamment à :
- Évacuer l’eau liquide
Les micro-bulles d’air permettent-elles aux soies du gecko de s’adapter à la surfaces du support ?
L’énergie (entropie) fournie par le changement d’état de l’eau serait maintenue.
Full text in English (via Google) : Consolidation of gecko adherence by polar bonds
L’essentiel :
À l’État final du système thermodynamique
Surface des soies du gecko + Eau + Surface du support d’adhérence
... les soies du gecko et le support sont accolées par des zones hydrophobes.
Simultanément la réunion des zones hydrophobes isole certaines zones hydrophiles/polaires du milieu, ouvert, de solvatation.
Suite à cet isolement, les fonctions polaires des zones hydrophiles se retrouvent dans un environnement hydrophobe. Dans cet environnement, l’énergie des liaisons ioniques et hydrogène peuvent être plus que décuplées.
Avec ses kératines beta, le gecko dispose de très nombreuses (20%) fonctions latérales d’acides aminés comportant une fonction hydroxyle (-OH)
Ces fonctions hydroxyles permettent de créer, dans un environnement hydrophobes, des liaisons hydrogène ayant une énergie de 25-50 kJ/mole
Ensuite, pour marcher, le gecko doit au préalable affaiblir ces liaisons. La force motrice de ses pattes, assurant un glissement de ses setae, suffit-elle à modifier l’environnement, c'est à dire à rompre l’isolement des zones hydrophiles ?
Ce même glissement provoque-t-il astucieusement la mise en opposition de deux fonctions ioniques de signes contraire ? facilitant davantage le pull-off ?
Au contact du verre sec, des zones hydrophobes des spatules du gecko peuvent probablement isoler les zones hydrophiles (des spatules) du milieu extérieur, pour que les fonctions hydroxyles des kératines puissent se lier au verre par des liaisons hydrogène, dont l’énergie est plus puissante, que dans un environnement hydrophile, ouvert.
Si le verre, et/ou les setae du gecko, sont trop mouillés, la probabilité que les zones hydrophobes isolent les zones hydrophobes diminue.
L’eau de fusion des patchs congelés est-elle mal évacuée ?
Des molécules d’eau restent-elles « collées » au verre ?
Points essentiels :
Absorption et ouverture de la chaîne kératinique.
Il a récemment été montré que les kératines des soies du gecko absorbent des molécules d’eau prélevées sur l’humidité de l’air. Cette absorption est biphasique.
La deuxième phase qui apparaît à partir de 80%HR peut être interprétée selon le modèle de la solubilisation/agrégation des protéines. La quantité d’eau organisée comme de la glace devient suffisante pour « solubiliser » des zones hydrophobes qui étaient situées dans la structure interne des kératines. Cette « solubilisation » provoque l’ouverture de la structure protéique, et s’accompagne d’une diminution des propriétés mécaniques des kératines du gecko.
Adhérence et humidité
Le renforcement de l’adhérence du gecko en fonction d'un accroissement de l’humidité de l’air avait pu être interprétée comme la présence d’une plus grande quantité d’eau « organisée comme de la glace » disponible pour l’adhérence.
L’ouverture de la structure kératinique permet d’interpréter l’anomalie observée à 32°C pour une humidité de l’air d’environ 80%HR (flèche beige) :
1° les zones hydrophobes qui ont été libérées lors de la transition de phase ne participent pas à l’adhérence.
2° le coefficient de partition de "l’eau comme de la glace" disponible est en faveur des nouvelles zones hydrophobes, au détriment des zones hydrophobes d’adhérence
3° Une agrégation des soies entre-elles est envisageable.
Le remplissage des sites de fixation des molécules d’eau suit-il un processus de percolation à deux dimensions ?
Ce forme-t-il un gel instantané selon une surface topologique d’une seule couche de molécules d’eau ?
Les sites de condensation des molécules d’eau atmosphérique pourraient être les fonctions hydroxyles des sérines et des tyrosines des kératines beta du gecko