La soupe d'Homo sapiens
La plus grande avancée apportée par le feu est la soupe.
Celle à laquelle la/le première/premier Homo sapiens ajouta des Légumineuses (Fabaceae) : lentilles, fèves, pois, haricots, … très riches en protéines.
La chaleur permet d’inactiver des toxines (inhibiteurs de protéases) présentes dans ces graines. Homo sapiens pu ainsi augmenter l’apport de protéines dans son alimentation, et diversifier celle-ci.
Pour faire bouillir/préparer sa soupe, Homo sapiens y jetait des galets chauffés "à blanc".
Autre avantage des lentilles, fèves, ..., secs : ils sont faciles à transporter et à emmagasiner.
En annexe : comment se nourrir avec des glands
La révolution du feu, c’est la révolution de la soupe de Légumineuses.
L’utilisation du feu a certainement permis à nos ancêtres de se chauffer, d’éloigner les prédateurs et de faire reculer la parasitose. La grillade a également permis de coaguler, un peu, les collagènes des viandes et de les rendre plus digestes que crues, mais sans beaucoup d’amélioration de l’apport nutritif. La plus grande avancée apportée par le feu est la soupe.
La chaleur, et l’eau, de la soupe permet d’attendrir la viande par hydrolyse des collagènes, plus efficacement que par grillade.
La soupe permet aussi de libérer l’amidon des végétaux et surtout d’avoir accès à une nouvelle source de protéines, celles des Légumineuses.
Maintenant appelées Fabacées, cette famille végétale regroupent la lentille, le pois chiche, le pois (Pisum sativum), le pois chiche (Cicer arietinum L.), le haricot, le soja, etc.
Les gousses de graines peuvent aussi se trouver dans des arbres (Césalpiniacées) comme le caroube, le tamarin, etc..
Toutes les régions du monde étaient servies en légumineuses.
Pour simplifier : la lentille et la fève pour le Proche orient, le haricot pour l’Amérique, le soja pour l’Asie du Sud-est
Ayant la faculté de fixer l’azote atmosphérique par l’intermédiaire de bactéries (genre Rhizobium), les légumineuses sont très riches en protéines, une poignée de lentille contient environ 10 g de protéine.
Mais, il y des « mais » .
D’abord les lentilles crues, même longtemps mâchouillées ne sont pas très digestes, et surtout la plupart des Légumineuses contiennent des inhibiteurs de protéases, plus précisément des inhibiteurs des serine-protéases comme la trypsine et la chymotrypsine. Dans notre intestin, ces enzymes coupent les protéines présentes dans la viande, ou dans les légumes, en molécules élémentaires assimilables : les peptides puis les acides aminés.
Les inhibiteurs de protéases constituent une méthode de défense assez classique du monde végétal pour décourager les prédateurs : celui qui mange le végétal contenant ces inhibiteurs ne peut plus assimiler les protéines, donc il dégénère.
Or les inhibiteurs de protéase dont disposent les légumineuses sont eux mêmes des protéines (la plus célèbre en biochimie est la soybean trypsin inhibitor)
La méthode la plus générale pour profiter des apports nutritifs des légumineuses est de les cuire. La température de la soupe dénature les protéines, toutes les protéines y compris les inhibiteurs de protéase.
Une fois dénaturées ces protéines ont perdu leur activité inhibitrice, et la soupe de Légumineuses peut être consommée,
avec comme conséquence positives supplémentaires :
- augmentation de l’apport de protéines,
- diversification de l’alimentation, diversification au passage le microbiote intestinal,
- resserrant le lien social (voir § Social de cet article)
… l’ensemble favorisant l’évolution d'Homo sapiens
Selon la nomenclature de classification des espèces, Homo désigne le genre et sapiens, l’espèce ; l’ordre est celui des primates. Il y eut d’autres Homo, par exemple Homo faber, Homo neanderthalis etc. Homo sapiens est le seul survivant du genre Homo
Sans marmite, dans quel récipient Homo sapiens pouvait-il préparer sa soupe?
Une peau de bête pas trop tendue, retenue par des piquets, formant une sorte de poche, était utilisée par les Amérindiens au moment de l’arrivée des Européens,
Les marmites en fer figurent parmi les premiers objets échangés contre des peaux avec les Coureurs des bois.
Il semble que ce soit cette méthode, en plus élaborée, qu’ait voulu représenter Satoshi Kitamura dans « Mon voyage dans la préhistoire »
Curieusement, il est probable que ce soit le côté garni de poils de la peau qui était utilisé pour recevoir la soupe.
Cette pratique se retrouvait (au moins) en Thrace pour les outres destinées au lait et perdure au Pays Basque pour les gourdes de peau de bouc destinées à boire le vin en envoyant directement le jet au fond de la bouche, la zahato.
L’eau et les ingrédients de la soupe pouvaient aussi, simplement, être placés dans un trou creusé dans le sol.
Si celui-ci n’était pas suffisamment étanche, Homo sapiens pouvait tapisser les parois d’argile (voir aussi : se nourrir avec des glands)
Utilisa-t-il des petites « marmites de géants» naturellement formées par l’érosion dans les torrents
En jetant dans le « récipient » des galets chauffés « à blanc »,
Un emplacement d’un feu préhistorique est figuré au Muséum d’Histoire Naturelle de Toulouse. Il est entouré de galets d’environ 10-15 cm de long, ceux-ci forment une couronne; tous sauf un, situé approximativement au milieu du foyer.
Le foyer est bien aplati, ce galet semble posé délibérément à cet endroit.
Ce galet resté au milieu du foyer figuré au Muséum pourrait bien être celui gardé en réserve pour finir de cuisson de la soupe
Déjà la fameuse garbure du Sud-ouest, de la France actuelle ?
Lors d’une récente émission de La méthode scientifique, une invitée de Nicolas Martin a fait allusion à ce foyer du Sud-ouest entouré de galets. Il est possible qu’ils aient été utilisés pour protéger le feu du vent, mais il encore plus probable qu’ils aient été placés ainsi en position de préchauffage avant d’être mis à chauffés et utilisés pour la soupe.
Dans « La vie au temps de Cro-Magnon », Philippe Vergeot montre par deux fois que la soupe était chauffée avec des galets chauffés.
Sauf que pour de bonnes saveurs, il convient de mettre les légumes verts après les premiers galets !
Bien entendu, pour préparer sa garbure l’Homo sapiens du Sud-ouest ne disposait pas de haricots, qui sont d’origine américaine, mais la famille de Fabaceae compte environ 765 genres regroupant plus de 19 500 espèces. Il devait bien trouver sur place les Légumineuses qui convenaient à sa garbure.
Peut être utilisait-il de la gesse des bois (Lathyrus sylvestris L.) ?
Avec un autre problème de toxicité : les gesses contiennent une substance (β-amino-propio-nitrile) qui inhibe la consolidation des collagènes, y compris ceux qui constituent les os.
Par contre utilisé chez les rats adultes, le βAPN prolonge leur durée de vie. Mais c’est une autre histoire : voir Espérance de vie et rides. De simples propriétés mécaniques ?
Là encore, le trempage et la cuisson dans l’eau bouillante de la soupe réduit la teneur en principe toxique
Pour une bonne soupe, Homo sapiens devait aussi avoir à sa disposition des galets. Il les trouvait facilement le long des cours d’eau de l’Aquitaine (« terre des eaux »)
Tradition ? Chaque année un championnat du monde de garbure a lieu à Oloron-Sainte-Marie.
Je suggère aux organisateurs d’essayer le chauffage par des galets brûlants. Les participants en trouveront dans le gave d’Oloron, ils prendront évidemment soin de les remettre en place une fois la garbure dégustée.
La préparation de la soupe demandait (et demande encore, voir championnat ci-dessus) une longue et précise préparation. Par ailleurs, le chauffage par galets brûlants nécessite l’utilisation d’un grand récipient
Homo sapiens ne devait certainement pas préparer une soupe que pour lui, ni même que pour sa famille, mais tout le groupe auquel il appartenait.
La soupe était (déjà) associée à un caractère social, autre atout favorable à l’évolution d’Homo sapiens.
Homo cassait les os pour en extraire de la graisse, la moelle, mais s’il continuait de les casser pour obtenir des petits morceaux c’est peut être bien pour les mettre dans sa soupe.
En réalité, la valeur nutritive de la gélatine d’os est médiocre (et ne contient pas de tryptophane) voir La controverse de la gélatine
Par contre, les orties (le genre Urtica L.) sont riches en protéines à hautes valeurs nutritives.
Ce végétal a utilisé une défense contre les prédateurs plus directe que les inhibiteurs de protéase !
Cueillies avec précaution, les orties trouvèrent leur place dans la soupe d’Homo sapiens.
Pour nos lointains ancêtres comme pour nous, une bonne soupe ne contient pas que des Légumineuses mais aussi quelque légumes « verts », bulbes, racines et … pourquoi pas, des orties.
En réponse à une « agression », comme de les couper en morceaux, de nombreuses cellules végétales libèrent des enzymes qui produisent des substances amères.
Il est vraisemblable que ces amertumes font partie du système de défenses des végétaux contre les herbivores
Voir Amertume
Pour un biophysicien, une montée rapide en température dénature ces enzymes et permet aux « légumes verts » de conserver toute leur saveur dans la soupe.
Les Homo sapiens mangeurs de soja ont trouvé une autre parade que la cuisson, ils ont recours à une fermentation, assez le semblable à celle qui se passe dans les estomacs des ruminants.
Pour le nattō, les Japonais utilisent justement du foin bouilli pour ensemencer leur soja (une température choisie permet de sélectionner un Bacillus subtilis).
De même que dans la panse des ruminants, en utilisant d'autres systèmes enzymatiques que ceux présents dans notre intestin, Bacillus subtilis découpe toutes les protéines sans se soucier des inhibiteurs de trypsine, !
À propos de panse, lors de la récente émission de La méthode scientifique déjà citée, une invitée de Nicolas Martin signalait que nos ancêtres devaient certainement manger le contenu de la panse des animaux qu’ils chassaient.
C’est d'ailleurs également ce que fait en priorité le lion.
D’autres légumes contiennent des inhibiteurs de protéases, c’est le cas de la pomme de terre (Solanum tuberosum Solanaceae) et la patate douce (Ipomoea batatas Convolvulaceae). L'Homo sapiens « américain » pouvait en mettre dans la soupe mais aussi les cuire sous la cendre, pendant que les galets chauffaient.
Solanum tuberosum a inventé un autre moyen de protection, un poison, la solanine. Située essentiellement dans la peau, il suffit de l'éplucher. Récemment, les agriculteurs ont réussi à sélectionner des pommes de terres dont la peau ne contient plus qu'une faible teneur en solanine.
Les lentilles, les fèves, et autres haricots (ainsi que les glands) présentent deux autres avantages qui ont pu être déterminants pour la survie et l'évolution des Homo sapiens chasseur(charognard)/cueilleur
Bien avant de savoir sécher et fumer des lambeaux de viande, Homo pouvait facilement transporter et emmagasiner des graines de Légumineuses
Chez les Basques, le chêne, Haritz, est clairement « l’arbre qui donne à manger ».
Si Virgile, dans le préambule de ses Géorgiques remercie Liber et Cérès en ces termes : « grâce à votre don, la terre a remplacé le gland de Chaonie par l'épi lourd », c’est que
1° le gland du chêne, (Fagaceae, comme le châtaigner), était consommé.
2° il n’était certainement pas la nourriture préférée de nos ancêtres. En effet, le gland même cuit reste très amer !
Il a fallu l’astuce des premiers cuisiniers pour rendre mangeable ce fruit si abondant : ils mélangèrent la farine de gland avec l’argile la plus fine,
comme celle qui permet aujourd’hui d’équilibrer le microbiote intestinal, si on a quelques soucis de ce côté là.
La biophysique nous apprend que pendant la cuisson, les molécules donnant l’amertume au gland s’adsorbent sur les polymères de l’argile et rend l’aliment à peu près consommable, ... en cas de disette des épis lourds de Liber et Cèrès.
Bon appétit pour votre prochaine soupe (sans glands).
Jean-Pierre FORESTIER
Biophysicien, Ingénieur de la Beauté, apprenti bio-philosophe