NON ! Rebelles/Conquérants et Régnants
Permettez-moi quelques réflexions, « essais » et digressions à propos de l’émission de France-Culture diffusée le 1er juin 2018, et que je viens d’écouter, en différé : « NON ! De l’esprit de révolte »
Adèle Van Reeth recevait Vincent Delecroix écrivain et philosophe, spécialiste de la philosophie des religions, directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études.
Ces réflexions me permettent également de compléter la leçon 19 de l’École de la Beauté : Régnants et Conquérants.
Le Non ! est celui des révoltés, des Rebelles et aussi celui des Conquérants. Ce Non ! les oppose aux gestionnaires, aux Régnants.
Les Rebelles s’opposent, disent Non !, mais ce Non ! traduit aussi une volonté de conquérir de nouveaux territoires (géographiques, politiques, intellectuels, artistiques …), même si en réalité, comme dans la Sélection naturelle, une minorité concrétisent leurs conquêtes.
Plus tard, ces nouveaux territoires sont administrés par les Régnants ; où fleuriront de nouveaux … rebelles.
Oh, oui, pour reprendre la citation de Nietzsche lu pendant l’émission (selon une autre traduction, celle d’Henri Albert) : « … que nolens volens cette science [celle du monde simplifié, artificiel] aime l’erreur, parce qu’elle aussi, la vivante, [elle] aime la vie ! »
Oh, oui, la vie, la science de la vie aime le Non ! et aussi « l’erreur », c’est le début même du principe de la sélection naturelle théorisée par Darwin.
À leur manière, les savants, les artistes et les poètes, surtout les poètes, sont des Conquérants; sans leurs diversités, leurs nuances, sans toutes leurs « erreurs » (y compris celles des savants!), le champ de la Sélection naturelle serait trop étroit pour fertiliser la « poursuite » de la Vie (comme celle du bonheur, Pursuit of Happiness).
La diversité est également en chacun d’entre nous. Chacun d’entre nous est à la fois Conquérant et Régnant, plus ou moins Conquérant, plus ou moins Régnant.
Le curseur entre Conquérant et Régnant peut varier au cours de l’existence d'un même individu.
Comme le remarque André Comte-Sponville dans Le goût de vivre à propos des soixante-huitards : « Ils voulaient faire la révolution : ils découvrirent la gestion ». Et
le hippie Steve Jobs est devenu Steve Jobs, le patron d’Apple.
Les Rebelles s’opposent, disent Non !, mais, comme l’avait déjà remarqué Héraclite, le grand sage d’Éphèse, cinq siècles avant notre ère, n’est-ce pas « d’oppositions que naît une harmonie fertile » ? Cette même opposition entre le volens (voulant) et nolens (ne voulant pas) qui "aime la vie" et la fertilise.
Un savant, un artiste, un poète devient-il adulé, digéré, utilisé par les Régnants, d’autres se lèvent prêts à de nouvelles conquêtes, ainsi va la vie. Ainsi va aussi la lignée, la cité et une … entreprise industrielle et/ou commerciale. Si, au regard de l'évolution, tous les Rebelles ont leurs mérites, tous ne sont pas également appréciés ; grand chantre du patriarcat, et précepteur d’Alexandre le Conquérant, Aristote, proposa de bannir les poètes.
Aux Conquérants succèdent les Régnants. Pour la lignée, pour la cité, pour l’espèce, chacun avec son mérite. Les Conquérants élargissent le périmètre, les Régnants en assurent la pérennité.
Aux défricheurs succèdent les agriculteurs, aux navigateurs succèdent les armateurs, aux créateurs succèdent les régisseurs.
Pour paraphraser le marquis de Sade, dont on a hélas davantage retenu la folie que la philosophie, je dirai : « On déclame contre les Rebelles, sans songer que c’est à leur flambeau que les Régnants allume le leur. »
Cette défense des passions par Sade, aurait pu être celle du Non ! Elle est d’autant plus remarquable que le principe même de la plupart des philosophies est prôner l’insensibilité, voire le rejet, de toute passion.
Si en domestiquant animaux et plantes, Homo sapiens s’est lui même domestiqué, celui qui dit Non !, le Rebelle, serait-il celui qui lutte contre sa condition domestique ?
Est-ce un reste de sauvage dans Homo sapiens qui fait de certains des Rebelles et des Conquérants ?
Si, domestiqué, Homo sapiens s’est choisi un ou des dieux comme maîtres, les Rebelles seraient-ils des apostats ?
Pour revenir au périmètre de l’entreprise industrielle et/ou commerciale, qui par essence semble être l’espace des Régnants, que devient le Non ! ?
Le Non !, celui de la lutte des classes est facile à notre entendement.
Celui de la recherche et de la créativité l’est moins. Pourtant comme une lignée, une cité, ou une espèce, sans innovation une entreprise s’éteint.
L’art du chef d’entreprise est-il celui de la gestion entre les « d’oppositions », entre les « nolens volens », pour en faire naître « une harmonie fertile » ?
Héraclite et Sade sont-ils aux programmes des grandes écoles ? Je ne saurais l'affirmer, juste éventuellement le regretter, mais je sais que plusieurs années j’ai enseigné, jusqu’à la retraite, la philosophie dans une école d’ingénieur, l’INSA de Toulouse.
Ce qui fera toujours la différence entre deux ingénieurs, startupers, etc. qui affichent un même niveau scientifique/commercial, c’est la culture générale, et sans doute surtout la philosophie.
Dernière remarque : à leur manière, les centenaires se rebellent et disent Non !, non à la mort. Leur exceptionnelle longévité est aussi une « erreur », comme celles qui permettent la sélection naturelle de Darwin.
Jean-Pierre FORESTIER
Biophysicien, Ingénieur de la Beauté, apprenti bio-philosophe