IA.11 : Des systèmes de Ponzi camouflés
Complété en aout 2024
Extraits
Des pyramides de Ponzi dans l’économie
… de Kaushik Basu
paru dans
Pour la Science - n° 444 - Octobre 2014
… l’escroc promet par exemple un retour sur investissement mirifique de [par exemple] 10 % par mois pour persuader quelqu’un d’engager 100 euros. Le mois suivant, deux personnes placent 100 euros chacune, et le premier investisseur récupère 10 euros tandis que l’entrepreneur « à la Ponzi » en garde 190. Ainsi, la pyramide des placements ne cesse de croître.
En commençant avec les 100 euros placés le premier mois, et en doublant le nombre d’investisseurs chaque mois, le revenu au dixième mois atteint 46 090 euros. Les personnes qui réussissent à monter des chaînes de Ponzi amassent ainsi des fortunes considérables. Le problème, c’est qu’il n’y a pas moyen d’arrêter la chaîne convenablement : tout s’effondre quand les nouveaux investissements se tarissent.
La plus grosse escroquerie de Ponzi connue aujourd’hui est celle qui fut organisée par Bernard Madoff.
La plus grosse escroquerie de Ponzi connue aujourd’hui est celle organisée par Bernard Madoff.
Comment a-t-elle pu durer aussi longtemps ?
Tel Mardochée du Livre d’Esther, Bernard Madoff confiait à une ses nièces l’accueil du contrôleur de l’Autorité des Marchés Financiers états-uniens. Le rapport, préparé à l’avance, était signé à l’horizontal. Jusqu’au jour où arriva une équipe complète de contrôleurs. La pyramide de Ponzi s’écroula !
Comme le fascinant Livre d’Esther est éternel, peut-il être conseillé aux patrons de Jeunes pousses d’intégrer une collaboratrice peu farouche ?
Il est peu probable que Clara Chappaz, ex directrice de directrice de la Mission French Tech, songeait à ces fonctions quand elle a instauré un quota de 20% de femmes.
… les économistes ont commencé à se rendre compte que ce type de comportement peut aussi se produire spontanément, et même inconsciemment, simplement quand les anticipations [le futur] des uns nourrissent celles des autres et créent une spéculation frénétique, une « bulle » économique qui grossit et qui finit par éclater.
Certaines opérations financières qui, de l’extérieur, ne ressemblent pas à des pyramides de Ponzi, en sont des versions camouflées.
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Prenons par exemple la pratique très répandue et parfaitement légale qui consiste à donner aux employés des options sur titres (les fameuses stock-options).
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Un parfait exemple serait celui d’une jeune pousse (ou start-up) de la Silicon Valley qui embauche des diplômés très qualifiés en leur offrant un faible salaire initial, inférieur à leur valeur sur le marché, mais en y ajoutant des options sur titres promettant une importante rémunération à venir. Les salaires dérisoires garantissent que l’entreprise peut faire des bénéfices même si elle propose ses produits à prix réduit. Le propriétaire [ : l’entrepreneur, qui est le plus souvent aussi le fondateur], cependant, conserve une partie de la différence entre les marchandises à prix réduits et les salaires encore plus réduits, tout en distribuant le reste comme revenu supplémentaire à certains employés ayant de l’ancienneté.
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Supposons qu’au premier trimestre d’activité, l’entreprise emploie un salarié et lui offre des options équivalentes à la moitié de tous les bénéfices pour cette période. Au trimestre suivant, l’entreprise double sa main-d’œuvre en recrutant un nouveau salarié, et offre à ce dernier des options pour un total d’un quart des bénéfices de cette période. Au cours de la troisième période d’activité, la société double à nouveau son personnel en embauchant deux nouveaux employés, et fournit un montant d’options égal au huitième des bénéfices pour cette période, ce qui signifie que chaque nouveau salarié reçoit un seizième de tous les bénéfices. Et ainsi de suite à chaque nouveau trimestre.
[L’embauche des ingénieurs à bas salaire peut parfaitement être cumulée avec la levée de fonds d’investissement comme dans les pyramides de Ponzi classique.
Pas tout à fait classique, puisque la plupart des jeunes pousses ne distribuent pas de dividendes. Le retour sur investissement est lointain, il se produira quand l’entreprise fera des bénéfices (voir ci-dessous), à moins qu’elle ne fasse faillite avant.]
Ce plan garantit que les bénéfices de l’entreprise doublent tous les trimestres.
Comme les employés reçoivent une part fixe des profits, les gains de leurs options doublent également à chaque période. Et le revenu de l’entrepreneur provient de la différence de valeur entre ce que produisent les employés et les bas salaires, puisque l’entrepreneur conserve une partie de cette différence tout en donnant le reste aux employés sous forme de rémunération de leurs options sur titres.
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Si, en dépit du salaire bas, certains souhaitent travailler pour cette entreprise, c’est en raison de l’attrait des options sur titres distribuées.
[… ainsi que la renommée de l’entreprise, travailler pour une start up, surtout si elle est californienne, est très valorisant socialement et aussi « nourrir » le curriculum vitae ]
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À mesure que l’entreprise croît et recrute de nouveaux salariés, l’entrepreneur peut faire un très gros profit, même si, comme tous les systèmes de Ponzi, celui-ci finira par faire faillite et laisser les employés sans travail, ou en possession d’options d’achat de titres sans valeur.
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Paul Delvaux. Abandon
… un système de Ponzi camouflé peut changer de nature en route [trouver son chemin de Damas] et rendre à terme l’entreprise complètement légitime. Avec un bon climat économique et un peu de chance, une compagnie qui se livre à de telles pratiques peut finir par [se convertir,] innover et créer des produits de plus grande valeur, ce qui permet alors de recruter de nouveaux salariés sans leur faire miroiter des options sur titres. Elle peut dans ce cas ralentir son expansion et devenir viable, sans avoir besoin de continuer à croître et à distribuer des options sur titres.
Elle peut aussi être rachetée et produire un bénéfice substantiel pour tous les porteurs de titres, salariés, investisseurs et … le propriétaire, entrepreneur créateur.
Un intervenant sur BFM Business posait récemment la question : « Il y aura-t-il assez de compagnies pour racheter toutes les jeunes pousses ? » Bonne question.
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Le problème découle aussi en partie de l’irrationalité humaine.
Il est très révélateur qu’il ait fallu à l’orthodoxie économique toute une sous-discipline (l’économie comportementale [RichardThaler reçu le prix Nobel pour ses travaux sur l’économie comportementale]) et un grand nombre d’expériences de laboratoire pour reconnaître que, bien souvent, les humains ne se comportent pas de façon rationnelle.
[Ils sont plus sensibles aux bons vieux fantasmes qu’au rationnel ! ]
Grâce à l’accumulation de données et d’analyses au fil des ans, de nombreuses lois visent maintenant à empêcher le développement d’escroqueries à la Ponzi qui ciblent des personnes naïves et sans méfiance. Aux États-Unis, la commission SEC (Securities and Exchange Commission, chargée de la réglementation et du contrôle des marchés financiers) a pour mission de clôturer les chaînes de Ponzi frauduleuses.
[C’est la même SEC qui a démis Elon Musk de ses fonctions de PDG, voir Chronique.1]
Une difficulté majeure de la régulation des systèmes de Ponzi, légaux ou non, vient des particularités des politiques gouvernementales. De nombreux gouvernements, particulièrement dans les économies industrielles, se font une obligation d’intervenir pour secourir les très grosses corporations lorsqu’elles sont sur le point de faire faillite.
Cette pratique du too big to fail (trop gros pour faire faillite) peut attirer vers une firme qui couvre un système de Ponzi des investisseurs confiants dans le fait qu’une fois que l’entreprise sera suffisamment grosse, le gouvernement interviendra avec l’argent des contribuables au moment de l’effondrement, protégeant ainsi les investisseurs, au moins en partie.
Tesla est-il trop gros pour faire faillite ?
La logique du « trop gros pour faire faillite » repose sur l’idée que si une grosse société d’investissement fait faillite, les dégâts collatéraux pour les citoyens ordinaires seront tellement importants que le gouvernement est obligé de sauver la société. Mais il est aujourd’hui évident qu’une telle politique bien intentionnée (ou mal intentionnée, mais habilement maquillée) peut exacerber une crise en garantissant aux gros bonnets de la finance que s’ils font un profit, ils se le garderont, et que s’ils subissent une perte, ce sera aux contribuables de payer. Cela a clairement joué un rôle dans la récente crise financière mondiale.
Les seuls oracles, qu’ils anciens ou modernes, à considérer sont ceux du Paraître social.
Les Régnants sélectionnent les innovations parmi les propositions des Conquérants.
À tout prix, comme Monsieur Jourdain, les Régnants ont la volonté de hausser socialement leur lignée.