La peau et ses odeurs
Identité immunitaire et odeur
Chosmo sapiens et sa descendance
Identité
Selon Rémy Burcelin : « Sur notre corps, des bactéries sont présentes au niveau de tous les épithéliums (les couches externes de cellules d'un tissu en contact avec le milieu extérieur), dont évidemment la peau, où, selon les parties exposées à l'air, à la chaleur ou à l'humidité, des communautés bactériennes distinctes se développent. »
Gérard Eberl quant à lui, remarque dans un petit encadré :
« On s'est … aperçu … qu'il n'existe pas deux microbiotes identiques. »
Nos flores cutanées sont apparues suffisamment diverses/distinctes à Noah Fierer, Rob Knight et leurs collègues de l'Université du Colorado pour qu’ils proposent d’en faire un moyen, de reconnaître un individu au même titre que ses empreintes digitales.
Proc Natl Acad Sci U S A. 2008. vol. 105 no. 16, 17994–17999
Proc Natl Acad Sci U S A. 2010. vol. 107 no. 14, 6477–6481
Et pour en convaincre la Police scientifique, ils ont identifié l’utilisateur d’une « souris » d’ordinateur par pyroséquençage des empreintes laissées par les doigts.
(La technique évoluant très vite, il existe maintenant des techniques plus « modernes » et adaptées notamment celles ciblant le gène de l'ARN ribosomal 16S, voir par exemple dans Les « actifs » et le microbiote cutané
Identité récurrente
La même équipe a demandé aux volontaires de la cohorte de se laver les mains. Quelques heures après, le microbiote cutané s’était parfaitement reconstitué.
Observation fondamentale, car si elle se reconstitue à l’identique pour chaque individu, c’est que cette flore est conditionnée, plus que par la chaleur et l’humidité de la peau que cite Rémy Burcelin, mais par le « terrain » constituée par la peau de l’hôte.
Cette variété individuelle et cette constance du microbiote cutané peuvent être attribuées à la variété individuelle et à la constance de notre système immunitaire.
D’autres liens entre le système immunitaire et le microbiote cutané nous font entrer directement dans notre cœur de métier, celui des odeurs corporelles.
Il était une fois de mystérieuses régions du corps où des glandes fournissant les substrats d’une symphonie odorante. Ces régions des odeurs sont principalement axillaires (sous les bras) et autour des parties génitales (pubis, etc.)
C’est aussi dans ces parties de l’anatomie humaine que persistent les poils de nos lointains ancêtres. Certains disent que c’est ce que ce qui sert à la procréation qui a le moins « évolué ». Procréation dirigée par la région du cerveau la plus primitive, le système limbique, et le cortex olfactif n’est pas loin ! Nous continuons à nous reproduire comme nos très lointains ancêtres, voire comme des animaux !
Indice de leur importance dans le processus de reproduction sexuée : cet ensemble, glandes et poils, apparaît à la puberté ; puis s’éclaircit avec l’âge, notamment à partir de la ménopause, sauf si un médecin, responsable et bien informé, prescrit à la dame un traitement hormonal substitutif.
Ces poils agissent comme des diffuseurs à odeurs.
Au moins sous les aisselles (« ailleurs », je ne sais pas), la peau est d’une part beaucoup plus fine et d’autre part moins « étanche » permettant à un flux important de vapeur d’eau (grande perspiration) d’agir comme un vecteur d’entraînement des molécules volatiles. Si j'ai écris « d’autre part », c'est que la paume des mains et la plante des pieds sont épaisses mais très perméables, une surhydratation des cals permet une bonne adhérence, survivance des temps où nous devions notre salut à grimper rapidement dans un arbre ! Autre survivance de notre passé animalier !
Glandes fournissant les substrats des odeurs, poils diffuseurs, entraînement par la vapeur, tout est en place. Encore faut-il que des molécules volatiles soient produites.
Certaines, comme l’androsténol, sont déjà, un peu, volatiles, d’autres le deviennent après un découpage et/ou un raccourcissement et/ou cyclisation (souvent en hétérocycles) par la flore cutanée. Les molécules les plus odorantes, et les moins agréables, peuvent être soufrées par Staphyloccocus haemolyficus, entre-autres.
Le nombre de molécules différentes semble rester assez faible, l’ordre de grandeur est la centaine (?), mais elles sont suffisamment variées pour que leurs combinaisons permettent un nombre quasi infini de symphonies parfumées différentes, et pour que chaque individu ait son propre panache odorant, comme chez la souris.
Une technique pour apprécier scientifiquement la symphonie odorante est le T-shirt odorant. Celui-ci est obtenu en demandant à des hommes ou à des femmes de porter un T-shirt plusieurs nuits de suite, avec quelques contraintes évidentes comme de ne pas se parfumer ni d’utiliser de déodorants, et un peu moins évidente, comme d’exclure de leur alimentation l’ail, l’oignon, les épices, les fromages forts, les choux, céleri, asperges, et aussi les yaourts, la viande de mouton et quelques autres.
Voir aussi École.2 L’Esprit de la Beauté
Identité immunitaire et odeur
De nombreux travaux scientifiques ont été effectués sur la base des T-shirt odorants.
L’une d’elle, celle de Suma Jacob, et son équipe, à l'Université de Chicago, montre le rapport entre le système immunitaire et l’odeur.
Selon cette publication, les femmes (de 13 à 56 ans) préfèrent l'odeur du T-shirt des hommes ayant un système HLA proche de celui de leur père. (HLA : human leukocyte antigen) (Le T-shirt de femmes ne donne aucune préférence vis-à-vis du HLA de leur mère)
Le choix des femmes qui se sont prêtées à l’expérience de Suma Jacob est très subtil, puisque l’élu olfactif n’a pas exactement le système immunitaire de celui ce leur père, il doit être ni trop proche ni trop éloigné. Nous échappons de peu au complexe d’Électre !
De leur côté, Manfred Milinski et Claus Wedekind du Max Planck Institute ont été un peu loin. Ils ont montré que pendant sa période féconde, les femmes préfèrent un partenaire dont l'odeur correspond à un HLA le plus différent du sien. C’est seulement si on ne tient pas compte de la période féconde que la Femme préfère l’odeur d’un homme qui a un HLA proche de celui du père, comme l’ont montré Suma Jacob.
Comme chez Homo sapiens, il n’est pas suffisant que la femelle soit fécondée, il faut aussi apporter des soins à l’enfant, et pendant longtemps, le choix d’un partenaire est ambivalent :
Le HLA différent permet à l’enfant de bénéficier d'une meilleure « qualité » immunologique et le HLA proche de celui du père de la dame s’interprète comme une demande de sécurité pour les soins que le couple aura à donner au futur bébé.
L’individualisation de notre microbiote cutané est déterminée par notre système immunitaire qui sélectionne des « communautés bactériennes distinctes » ; cette flore induirait … notre panache odorant, qui lui-même serait essentiel à la continuation de notre espèce.
Je pourrais parler de phéromones, si ce terme n’avait été autant galvaudé par des journalistes en quête de sensationnel. Il est vrai, que selon la définition des inventeurs du mot : Karlson et Luscher (respectivement du Max-Plank Institut et de l’Université de Berne), si notre panache odorant oriente notre comportement dans le choix d’un partenaire, il est bien une phéromone. Sachant qu’il serait vain de chercher une molécule/note particulière puisqu’il s’agit d’une symphonie.
Chosmo sapiens et sa descendance
« … en même temps que le système immunitaire sculpte le microbiote, il est sculpté par lui : à la fois au cours du développement et tout au long de la vie, … »
Les considérations sur les odeurs mystérieuses nous permettent d’aller plus loin :
Si plus qu'un Homo sapiens, nous sommes un super organisme, un Chosmo sapiens, cette synergie entre le genre humain et le cosmos microbien continuerait bien au-delà de la vie de l’individu.
La continuation de la lignée/de l'espèce de ce Chosmo sapiens, serait assurée chacun pour sa part par chaque humain, son système immunitaire, et par ses bactéries, celles-ci se chargeant de créer les signaux odorants orientant le choix d'un partenaire reproductif et/ou au soin des enfants.
Divins
Dans Le Divin Parfum des Mages, les personnages créés par Camille d’Axiothée abordent plusieurs autres "paraîtres" sociaux portés par nos odeurs, comme l’accolade, les repas en commun, les repas d’affaires, etc.
En Égypte ancienne, les parfums émanaient du corps des dieux. En se parfumant, par des fumigations ou des onctions, les anciens se rapprochaient des dieux, ils voulaient être « sentis » comme des dieux ! N’est-ce pas encore aujourd’hui notre sublime motivation quand nous nous parfumons : paraître divin ? Divin, plus que d’orienter le choix d’un(e) hypothétique partenaire sexuel(le) ?
Une autre fois, je consacrerais un article aux déodorants et à l’épilation
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