Dissolution/agrégation des protéines
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Résumé :
L’hétérogénéité hydrophobe/hydrophile de la surface des protéines confère l’efficacité énergétique de l’agrégation des protéines.
L’agrégation des protéines regroupe deux phénomènes simultanées : réunion des zones hydrophobes + consolidation des liaisons polaires.
En considérant un système thermodynamique incluant l’eau,
Protéine A
+
Eau
+
Protéine B
État initial du système : les deux protéines sont solvatées.
1° Les molécules d’eau forment un patch congelé au contact de chacune des zones hydrophobes de la protéine.
2° Les molécules d’eau peuvent établir des interactions polaires au contact avec les zones hydrophiles.
État final du système thermodynamique : les deux protéines sont agrégées par des zones hydrophobes.
1°
-- Les forces, qui unissent entre-elles les zones hydrophobes accolées, sont des liaisons de van der Waals, dont l'énergie est d’environ 0,4 kJ/mole.
-- L'’eau qui formaient des patchs congelés a changé d’état thermodynamique. Cette eau est passée de l’état « solide » (glace) à l’état liquide. Le gain énergétique (entropique) du système lors de cette « fusion » est compris entre 8 et 16 kJ/mole.
La principale énergie de formation de l'agrégation correspond à la fusion des patchs congelés.
2° Simultanément, la réunion des zones hydrophobes isole certaines zones hydrophiles du milieu de solvatation. Cet isolement accroît beaucoup l'énergie des liaisons polaires entre les zones hydrophiles et consolident l’agrégation.
Chaque protéine est composée d’une chaîne d’acide aminés.
La chaîne protéique est hétérogène, en effet :
- les fonctions latérales de ces acides aminés sont, soit plus ou moins hydrophiles (polaires), soit plus ou moins hydrophobes (non polaires) voir tableau ci-dessus
- hétérogénéité supplémentaire : parmi les chaînes latérales hydrophiles, certaines sont non-ioniques et d’autres sont ioniques (électriquement chargées), et parmi les ioniques certaines sont anioniques d’autres cationiques (donc de signes contraire).
Parmi les acides aminés "spéciaux" :
- la Proline impose un « pliage » différent à la chaîne peptidique.
- la chaîne latérale de la a cystéine comporte une fonction -SH qui lui permet de s’associer avec une autre cystéine pour former un pont disulfure (-S-S-) soit, après repliement, avec la même chaîne peptidique, soit entre deux chaînes de protéines.
Présents dans les cheveux humains ces ponts -S-S-, transférés d'une chaine sur une autre chaîne kératinique (amorphe) permettent aux coiffeurs de modifier durablement la "mise en plis" et les frisettes.
Les contraintes des repliements de la chaîne polypeptidique (structure primaire), en structures secondaire, tertiaire et quaternaire, font apparaître ...
... à la surface des protéines aussi bien des zones hydrophiles que des zones hydrophobes *
* Bien que, pour les protéines globulaires (comme sur le schéma ci-contre), une majorité des fonctions latérales hydrophobes se retrouvent à l'intérieur de la protéine. Alors que pour des protéines fibreuses, comme par les kératines beta, la surface peut être beaucoup riche en fonctions hydrophobes.
Les zones hydrophiles sont conférées par l’affleurement des fonctions latérales des acides aminés les plus polaires, ioniques ou non ioniques, auxquels peut s'ajouter la liaison peptidique avec le =O du C=O, et le H du NH.
Les zones hydrophobes sont conférées par l’affleurement des fonctions latérales des acides aminés hydrophobes. (Voir tableau ci-dessus)
L’environnement hydrophile considéré ici est l’eau. Je n’ai pas tenu compte des micro-molécules dissoutes dans l’eau, ni des ions, ni de celles qui déstabilisent les liaisons hydrogène, par exemple : l’urée chaotropique .
Pour qu’une protéine soit en solution dans un milieu hydrophile, elle doit être entourée de molécules d’eau, entièrement entourée de molécules d’eau, les zones hydrophiles aussi bien que les zones hydrophobes.
Au contact d'une zone hydrophile (une zone qui aime l’eau) les molécules d'eau créent facilement plusieurs types de liaisons, notamment des liaisons hydrogène et des liaisons ioniques.
Mais comment les molécules d’eau - hydrophiles ! - peuvent-elles être en contact avec des zones hydrophobes, ces zones qui n’aiment pas l’eau ?
[Rappel. Voir L’eau et l’hydrophobe]
C'est par des mesures thermodynamiques (entropie) que, dès 1945, Henry Frank et Marjorie Evans ont émis l'hypothèse de la formation d'un patch congelé.
Quand une molécule non polaire est dissoute dans l'eau, les molécules d'eau n’engagent pas directement de liaisons avec une molécule ou zone hydrophobe ; mais l'hydrophobicité de cette molécule (ou de cette zone) modifie l’arrangement des molécules d'eau qui sont au contact de cette molécule (ou zones) hydrophobe. Voir L’eau et l’hydrophobe
Au contact d’une zone hydrophobe :
- les molécules d’eau créent entre-elles davantage de liaisons hydrogène (hydrogen bond’s)
- les molécules d’eau s'organisent selon une structure de l'eau semblable à celle de-la-glace (ice like water), formant des ...
... de microscopiques icebergs ou patchs congelés , selon les images créées par Franck et Evans
Dans The Hydrophobic Effect, Charles Tanford, de la Duke University, a transposé aux protéines les travaux de Frank et Evans et de la "modification de l’arrangement des molécules d'eau autour des zones hydrophobe".
La théorie de Tanford permet de schématiser (trop schématiser selon certains !) la formation, dans un environnement hydrophile, des liaisons entre les parties hydrophobes des protéines, pendant l'agrégation des protéines ...
... et d'apporter une hypothèse permettant d'expliquer pourquoi ces liaisons sont si énergétiques.
Considérons le système thermodynamique, incluant l’eau
Protéine A
+
Eau
+
Protéine B
État initial du système thermodynamique
- Hydratation totale. Les deux protéines sont solvatées, c'est à dire entièrement entourées d’eau
- Patchs congelés. Au contact des zones hydrophobes de la protéine, les molécules d’eau créent davantage de liaisons hydrogène entre-elles (hydrogen bond’s) et s'organisent comme de la glace (ice like water) pour former des patchs congelés.
L'eau liquide, ou eau totale, est un mélange instantané d'eau en vrac et d'eau comme de la glace (voir Les États de l'eau dans l'eau)
- Interactions polaires.
Les molécules d’eau liquide/totale peuvent établir des interactions polaires au contact avec les zones hydrophiles.
État final du système thermodynamique. Les deux protéines sont agrégées par des zones hydrophobes. Les modifications du système sont multiples.
Environnement hydrophile. Certaines zones hydrophiles isolent des zones hydrophobes (en noir) et créent autour d'elles un environnement hydrophile fermé. (Les liaisons polaires partagées par les zones hydrophiles entre-elles sont étudiées au § Consolidation de l'agrégation).
- Liaisons entre les zones hydrophobes. Des zones hydrophobes sont accolées. Les forces qui unissent ces zones sont des liaisons de van der Waals.
De plus,
En réunissant leurs zones hydrophobes, les protéines minimisent leur contact avec l’eau, ainsi que leur besoin en eau comme-de-la-glace (cette ice-like-water peut être utilisée par d'autres surfaces hydrophobes pour être recouvertes d'eau, mais c'est une autre histoire celle, par exemple, des crèmes hydratantes/structurantes !) .
- Énergie de formation de la liaison entre les deux zones hydrophobes.
Les molécules d’eau comme-de-la-glace qui étaient en contact avec ces zones perdent leur organisation (augmentation de l’entropie du système thermodynamique).
À l'état thermodynamique initial, l'eau qui constituaient les patchs congelés était en phase "solide" (glace),
à l'état final, cette eau est phase "liquide". Le gain énergétique (entropique) du système thermodynamique correspond à cette « fusion ».
Dans un environnement hydrophile, l’énergie de formation de la liaison entre les deux parties hydrophobes d'une protéine est principalement l'énergie de "fusion" de la « glace » : 8 à 16 kJ/mol,
alors que les seules liaisons de van der Waals entre lipides sont faibles (environ 0,4 kJ/mol).
L’agrégation peut continuer entre les zones hydrophobes d’autres molécules protéiques et aboutir à des agrégats ou à une coagulation complète (par exemple celle de l’albumine du blanc d’œuf, qui lors de son agrégation emprisonne l'eau de solvatation)
La théorie développée par Charles Tanford a permis d’expliquer le paradoxe selon lequel de nombreuses protéines, notamment les albumines, sont davantage solubles dans l’eau froide que dans l’eau chaude. Depuis toujours, les lavandières mettaient en pratique l'utilisation de l'eau froide (voire de glaçons) quand il leur fallait retirer des taches de sang !
Rappel : dans un système considéré :
- plus la température est basse
- plus le système contient d’eau
… et plus la quantité d’eau comme-de-la-glace disponible est grande
Plus la température est élevée, plus la quantité d'eau comme de la glace disponible pour former des frozen patches est faible
et plus la quantité de substance hydrophobe qui peut être mise en solution dans l’eau (sans surfactif !) est faible. Autrement dit : plus l’eau est chaude, moins elle est capable de dissoudre des molécules hydrophobes.
L’art des lavandière permet d’introduire le processus inverse de l’agrégation : la re-solubilisation.
Une fois les deux protéines agrégées, pour les remettre en solution, il faut qu’elles soient de nouveau entourées de molécules d’eau sur toute leur surface.
Pour y parvenir, il est nécessaire :
- de rompre les liaisons de van der Waals, ce qui est aisé puisque leur énergie est du même ordre de grandeur que celle de l’agitation thermique (à température ambiante).
- et, surtout, reformer les patchs congelés à la surface des zones hydrophobes à partir d’eau liquide/totale environnante. C'est à dire aller prélever dans le pool d’eau totale, une quantité d’eau comme de la glace suffisante pour couvrir les zones hydrophobes.
La re-solubilisation peut être rendue impossible si au cours de l’agrégation :
- les protéines ont perdu leurs conformations tridimensionnelles initiale. On dit qu’elles sont dénaturées. Comme l’albumine du blanc d’œuf par la chaleur, ou "montée en neige".
- l’isolation de zones hydrophiles a produit des liaisons polaires trop énergétiques (voir § consolidation)
En étudiant la force de désorption, en présence d’eau, de la soie d’araignée (des protéines), « collée » à une surface hydrophobe (du diamant) l’équipe de Netz du département de physique de l’université de Munich (Allemagne) a montré qu’il existe un « couplage intime des effets de solvatation et de dispersion ». Ces "effets" peuvent s’interpréter comme la reformation des patchs congelés à la surface des zones hydrophobes, la même reformation que celle nécessaire pour une Re-solubilisation des protéines.
Pour marcher, le gecko doit recréer un patch congelé couvrant les surfaces hydrophobes des spatules de ses setae
Concrètement, au laboratoire, l’énergie énergie nécessaire à la re-solvatation d’une protéine est fournie par une agitation (prudente), souvent précédée d’une trituration lente.
La re-solvatation est une étape délicate de la purification des protéines (elle semble portant ignorée des protocoles décrits. Cet « oubli » cache-t-il un précieux savoir-faire ?
- une agitation trop énergique provoque une dénaturation des protéines ... bien visible par l’apparition de mousses, formées à partir de protéines dénaturées, comme les solution d’albumine dans lesquelles est incorporé de l’air en « montant » des blancs d’œufs « en neige ».
- une agitation mal effectuée ne permet pas une re-solubilisation complète.
Isolation de zones hydrophiles. Simultanément à la réunion des zones hydrophobes, ces zones hydrophobes peuvent isoler certaines zones hydrophiles (en gris) du milieu de solvatation (ouvert). Cet isolement accroît beaucoup l’énergie des liaisons polaires entre les zones hydrophiles, et permet une consolidation de l'agrégation. Voir ci-dessous . Pour mesurer l'ampleur de cette augmentation énergétique, voir Tableau ci-dessous de l'effet de l'environnement sur les énergies de liaison)
Les liaisons ioniques atteignent une énergie d’environ environ 300 kJ/mole (alors que leur énergie n’était que d’environ 12 kJ/mole dans un environnement hydrophile (ouvert sur l'eau de solvatation).
Dans un environnement hydrophobe, l’énergie de la liaison hydrogène devient comprise entre 25 à 50 kJ/mole (alors que cette énergie n’était que de 2 à 6 kJ/mole dans le même environnement hydrophile.
Une fois l'accolement entre les zones hydrophobes effectuée, l'agrégation des protéines peut être consolidée par des liaisons ioniques et/ou hydrogène.
Quelques remarques sur les liaisons ioniques :
- Elles ne sont des « liaisons » que si elles sont des signes contraires, par exemple, anionique (charge -) pour la fonction latérale de l’acide aspartique (Asp ou D, sur le tableau) et cationique (charge +) pour la fonction latérale de la lysine (Lys ou K). Si elles sont de même signe, la liaison est une répulsion.
- Les fonctions latérales ne sont chargées (négative ou positive) que si le pH du milieu le permet. Or le pH n’a de sens que si la solution est très diluée. Quelles sont les charges dans un volume de solvatation réduit, par exemple quand les fonctions latérales des acides aminés sont isolées par des zones hydrophobes ?
Effet de l’environnement sur les énergies de liaison
Les énergies des liaisons sont fortement modifiées par l'environnement.
La permittivité diélectrique εr intervient au dénominateur de la valeur de ces énergies. Plus la permittivité est élevée plus la liaison est faible.
En raison de la grande permittivité diélectrique εr de l’eau, ou plus généralement dans un environnement hydrophile (polaire), les liaisons ioniques et les liaisons hydrogène sont très fortement abaissées.
Les protéines étant, à l'état initial, entièrement couvertes de molécules d'eau, l'attraction par des interactions ioniques de signe contraire n'y a qu'un rôle limité (une dizaine de kJ) et les liaisons hydrogène deviennent négligeables.
À l’inverse, dans un environnement hydrophobe (apolaire), la permittivité est beaucoup plus faible et l'énergie des liaisons polaires (ioniques, hydrogène), est environ multipliée par dix.
Avec approximativement 300 kJ/mole, l'énergie de la liaison ionique devient du même ordre de grandeur qu'une liaison covalente.
Solvatation du sel. Liaisons ioniques
_ À l’état de cristal, le sel, de cuisine, est dans un environnement hydrophobe : l’air ambiant. La permittivité diélectrique de l’air est petite. Les liaisons ioniques entre les atomes de chlore et de sodium sont puissantes.
Dans l’eau, la permittivité diélectrique de l’eau est grande, les liaisons entre les atomes de chlore et de sodium deviennent petites. Il suffit d’une agitation pour les rompre (à moins d'attendre l'effet de l'énergie d'agitation thermique).
Solvatation du sucre. Liaisons hydrogène
_À l’état de cristal, le sucre est dans un environnement hydrophobe : l’air ambiant. La permittivité diélectrique de l’air est petite. Les liaisons hydrogène entre les atomes de de saccharose sont puissantes. Mais il néanmoins est possible de casser un morceau de sucre entre ses doigts.
Dans l’eau, ou le café, la permittivité diélectrique de l’eau est grande, les liaisons entre les molécules de saccharose deviennent petites.
Dans le café, il suffit d’une simple agitation avec la petite cuillère pour rompre les liaisons hydrogène entre les molécules de saccharose.
Sans agitation, le sucre solvaté reste dans le fond de la tasse, votre café sera froid avant que la diffusion, par agitation thermique, homogénéise la douceur de votre boisson. Mais vous préférez peut-être boire votre café sans sucre !
Valeurs approximatives des énergies des liaisons non covalentes ... entre les fonctions latérales des acides aminés en fonction de l'environnement - hydrophile ou hydrophobe - où elles sont placées. |
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Liaison dans un environnement ... (en kJ/mole) |
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Entre molécules ou zones |
Hydrophile |
Hydrophobe |
Hydrophiles |
Liaison ionique : |
Liaison ionique : |
Hydrophobes |
"Liaison hydrophobe" (fusion de l'eau-comme-de-la-glace + force de Van der Waals) de 8 à 16 |
Liaison de Van der Waals : 0,4 |
À titre de comparaison l’énergie des liaisons covalentes est
- pour un pont disulfure : ≈ 200 kJ/mol).
- entre deux carbones (C-C) : ≈ 400 kJ/mol
Remarque sur les forces de van der Walls
Les forces de van der Waals concernent, par exemple, d’attraction de deux corps gras entre-eux.
_Liaisons très faibles :
Les interactions de Van der Waals entre les zones hydrophobes ont une énergie de 0,4 kJ/mole.
À titre de comparaison, les liaisons hydrogène, même dans un environnement le plus défavorable (hydrophile), exercent une attraction de 2 à 6 kJ/mole. Voir le tableau sur l’effet de l’environnement sur les énergies de liaison.
Liaisons sur de très courtes distances :
Les forces de van der Waals ne sont efficaces que sur des distances très courtes (au maximum de 10 à 20 nm). La géométrie plates des spatules des soies semble la mieux adaptée à ce contact très étroit avec le support.
La permittivité diélectrique …
… n’intervient pas dans l’énergie des liaisons de van der Waals. Ces liaisons sont donc insensibles à la permittivité diélectrique du milieu.
La dénomination récente de : « forces de dispersion résultant de distorsions instantanées dans le nuage d'électrons » (dispersive forces that arise from instantaneous distortions in the electron cloud) est peut-être plus explicite, mais quel manque de reconnaissance vis-à-vis de Johannes Diderik van der Waals !
Dans le cas des kératines de l'épiderme, une mobilisation (coefficient de répartition favorable, ou « capture ») de l’eau comme de la glace permet de faire une hypothèse sur le rôle des bicouches glycocéramidiques du stratum granulosum dans la structuration des kératines épidermiques par leurs zones hydrophobes. Capture et structuration qui peuvent être améliorées de façon exogène par la Vaseline ou mieux par des Crèmes « hydratantes ».