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Publié par Jean-Pierre FORESTIER

- Je continue vers l’orthographe, Axiothée. Selon Luther, il ne suffisait pas de protester, de libérer la parole, il fallait réformer l’Église. … Permets-moi d’ouvrir une parenthèse sur le mécanisme d’extension de la Réforme.

- Je vous en prie, Professeur, si vous me garantissez que nous retrouverons bientôt l’orthographe.

- Ce sera un nouvel exemple de mon concept Régnant/Conquérant. Ceux qui protestaient contre les Indulgences devinrent les Protestants …

- C’étaient des Rebelles !

- Et aussi des Conquérants. Oui, Axiothée, mais les premiers à réagir favorablement aux théories de Luther furent les Princes allemands. Plus qu’une conviction religieuse, ils virent dans la Réforme, une subtile opportunité politique de s’émanciper de l’empereur et des évêques.

- Comme les Princes détenaient un pouvoir, adopter la Réforme permettait d’afficher un positionnement social élevé.

- Très bien, Axiothée, tu as parfaitement compris la façon de faire progresser une idée.

- C’est du marketing élémentaire, Professeur, il faut utiliser un prescripteur de haut rang ou de haute renommée pour vendre un produit, que ce soit une crème de beauté ou la Réforme !

- J’ai un peu de mal à assimiler la Réforme à un produit de beauté, mais pourquoi pas.

- N’avez-vous pas montré, Professeur, sur l’exemple des dinosaures/oiseaux, et en convoquant Nietzsche, que Paraître est lié et nécessaire à l’évolution ?

Mais pouvons-nous revenir à l’orthographe, Professeur ?

- Pour citer Emmanuel Todd, « La Réforme a d’emblée voulu instaurer, pour chaque homme, un dialogue direct avec Dieu, sans l’intermédiaire d’un prêtre, exigeant … l’accès direct des fidèles aux textes sacrés. »

 

 

 

L’accès direct à Dieu est la lecture de la Bible, et justement Gutenberg avait commencé à en imprimer quelques décennies auparavant.

 

 

 

 

 

 

 

Les hommes apprirent à lire. Emmanuel Todd l’explique parfaitement dans son essai : Où en sommes-nous. Une esquisse de l’histoire humaine.

- Et après avoir appris à lire, les hommes apprirent à écrire ; et pour écrire il faut une orthographe ? C’est bien cela, Professeur !

- Oui, pour apprendre à écrire, Axiothée, mais pour écrire, il ne faut pas nécessairement une orthographe. Une façon d’écrire très simple est suffisante, elle peut être libre ; plus que phonétique, elle peut être poétique ; il suffit que le lecteur comprenne le texte, sans ambiguïté.

- Comme François Ier dans son ordonnance de Villers-Cotterêts.
Mais alors, Professeur, pourquoi avoir inventé l’orthographe.

- J’y viens, Axiothée. Donc de plus en plus d’individus lisent et écrivent, non seulement des princes, mais bientôt également des bourgeois, des artisans et même des paysans, des Protestants et bientôt des Catholiques.

- Ce ne sont donc plus seulement des élites, des Régnants, qui pratiquent l’écriture. Voulez-vous dire, Professeur, que l’écriture s’est répandue pour faire comme les Princes ? L’écriture se répandit comme une marque sociale, comme c’était répandus le français, … et la Réforme !

- Tu es certainement dans le vrai pour l’essor de l’écriture, Axiothée. Mais cet essor, environ un siècle plus tard commença à avoir son revers.

- … ?

- Si les bourgeois, les artisans et même les paysans écrivaient, comment reconnaître un Régnant, aristocrate ou clerc, juste à la lecture d’un texte ?

- Par l’orthographe !

- Exactement, Axiothée. Ce n’est ni par « affectation scientifique », ni par « pédantisme » que les grammairiens ont « grièvement compliquée » l’orthographe, comme le croyait Émile Faguet à la recherche, déjà en 1905, d’une Simplification simple de l’orthographe, mais cette complication a bel et bien été inventée pour marquer et différencier les classes.

- N’y eut-il pas des réticences, des protestations ?

- Bien sûr que si, Axiothée, et dès qu’elle fut mise en place cette complication d’écriture fut contestée par des esprits éclairés comme Ronsard et Joachim du Bellay.

Ils ne furent pas entendus, la différenciation par la Beauté Sociale est, même si on peut le regretter, une force profonde de la nature humaine.
Il ne restait plus aux riches bourgeois que de s’entourer de précepteurs qualifiés pour apprendre l’orthographe

- Comme Monsieur Jourdain

-         Monsieur Jourdain :

                  « Apprenez-moi l'orthographe. »

          Le Maître de philosophie

                  « Très volontiers. »

Le Bourgeois gentilhomme. Acte II, scène 5.

Parmi les belles manières que veut acquérir, à prix d’argent, Monsieur Jourdain, pour paraître un gentilhomme, l’orthographe figure en bonne place.

Si la comédie de Molière continue de séduire, c’est que malgré les diverses révolutions politiques ou sociétales qu’a connu la France, l’orthographe reste profondément ancré à un positionnement social.

- Il est vrai, Professeur, que paraître avec un accent ^ circonflexe ça fait paraître tout de suite plus chic.

- Et flatte le Paraître, Axiothée, mais même avec un paraitre, un ognon ou un nénufar, les réformes ne sont que des simplifications de l’orthographe, jamais ces réformes ne sont des libérations de l’écriture !

Et si, dans ses plus poétiques utopies, Mai 68, exemple même du Rebelle anti Régnant....
 

 

Et si Mai 68 a voulu libérer beaucoup de choses, il n’a jamais crié : vive l’écriture libre ! À bas l’orthographe !
Même ivre d’utopie, Mai 68 n’a pas criée :

Vive l'écriture libre. À bas l’orthographe.

- Détendez-vous, Professeur, c’était il y a cinquante ans !

- ...

- ...

- Douterais-tu de la puissance de l’orthographe, Axiothée ?

- Il est vrai, Professeur, que plus ou moins consciemment, une mauvaise orthographe déclasse un texte, lui retire de sa force, même si les idées développées sont intelligentes et pertinentes.
- Tu penses un peu à moi, n'est ce pas, Axiothée ?
- …

- Je te remercie pour l'intelligence et la pertinence.

- …

- Pour les Régnants, tenir la langue d'un territoire, c’est tenir le pouvoir ; et tenir l’orthographe c’est maintenir l’ordre de la société par un repérage aisé des classes sociales. Jusqu’à dans des domaines où on ne l’attendait pas !
- … ?
- Dans une étude parue dans Sociétés contemporaines, Marie Bergström, s’est penchée sur les sites de rencontres.

- Ne me dites pas Professeur, que l’orthographe exerce un attrait dans le choix d’un partenaire de rencontre ?

- Un attrait, peut-être pas, mais son absence, un rejet, oui, Axiothée! Dans les sites de rencontre, les hommes restent des hommes, les femmes restent des femmes, et ne nous étonnons par que tout ne se joue pas qu’en dessous de la ceinture ! Beaucoup de femmes, il semble que ce soit surtout les femmes, rejettent les prétendants qui ne maîtrisent pas l’orthographe ! Une écriture défaillante est jugée comme « une différence morale » inacceptable.

- Surprenant, Professeur !

- Peut-être pas si surprenant que ça, Axiothée. Je dirais que l’orthographe « considérée comme correcte » fait partie de la Beauté sociale et annonce un partenaire « considéré comme correct », et comme nous l'avons vu dans la l'École.18, dans une projection instinctive vers la génération suivante.

- …

- C'est en effet une illusion voluptueuse qui abuse la femme en lui faisant croire qu'elle trouvera dans les bras d'un homme dont l’orthographe correcte la séduit une plus grande jouissance que dans ceux d'un illettré.

- ??

- Je me suis amusé à plagier un passage de la Métaphysique de l'amour sexuel de Schopenhauer.

- Je vous laisse à votre humour, Professeur, moi, je dirais que dans les sites de rencontre, les femmes ne cherchent pas en priorité la volupté ! Au moins pas toutes !

- Les femmes cherchent encore et toujours la Beauté sociale ! Oui, Axiothée.

- Je vous l’accorde. Au revoir, Professeur.

- À bientôt, Axiothée.

 

 

Une écriture libre est parfaitement compréhensible à condition qu’elle ne permette aucune ambiguïté dans le sens donné au texte

 

 

 

 

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