Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Publié par Jean-Pierre FORESTIER

L’essentiel

- Au delà de nos fantasmes, omnipotents et omniprésents les GAFA [Google, Amazon, Facebook, Apple] sont les nouveaux Maîtres/Dieux de l’Homme (auto)domestiqué.

- Comme tous bons Maîtres, les GAFA subviennent à nos besoins les plus essentiels de notre animalité.

- Un Maître-Dieu méprisant sait tout sur l’Homo sapiens domestiqué, y compris sa vie privée, sans que celui-ci en soit vraiment scandalisé.

- Vis-à-vis de ses enfants, l’angoisse du Régnant trouve son paroxysme devant l’immensité de cette Toile où sa progéniture pourrait croiser des démons corrupteurs.

- Difficile à maîtrisée, l’Intelligence Artificielle pourrait renforcer les inégalités, entre les individus, les familles et … les entreprises, mais donnera des possibilités presque infinies aux Conquérants

- Il existe une autre réalité de l’Intelligence, celle pour laquelle même l’Europe est impuissante : le renseignement.

Pour faire suite à Vers une Intelligence biophysique, je vous propose des réflexions commentées des deux articles de

Nathalie Devillier, Professeur de droit, Grenoble École de Management. Member of the Expert Group on Liability and New Technologies at the European Commission

Pour gagner la bataille de l’intelligence artificielle, multiplions les juristes-geek!

et

L’arsenal jurigeek des citoyens européens s’affirme face aux big tech

… auxquels j’ajouterais deux articles d’Influencia qui ont particulièrement retenu mon attention :

L’intelligence humaine plus forte que l’IA ? d’Isabelle Musnik, dont la parution est prévue le 20 octobre 2018, et

Intelligences artificielles et homo sapiens, l’amour fou ? de Camille Lingre

 

Dès que Intelligence apparaît associée à Artificielle, nous devons faire la part du fantasme et du réel.

Une fois la réalité bien identifiée, il convient de différencier les dangers encourus par un individu isolé, un groupe d’individus (plus exactement la famille et ses enfants ou ... une entreprise), ce groupe dans la société, puis enfin les dangers qui menacent un état de droit, ou une union d’états comme l’Europe.

La Créature inventée par Mary Shelley, dont fêtons cette année le deux centième anniversaire, submerge encore nos esprits ; elle fait ressurgir nos fantasmes de démiurges autant que notre besoin d’Homo sapiens (auto)domestiqué de se chercher un Maître.

Quand Isabelle Musnik écrit :

« Les GAFA [Google, Amazon, Facebook, Apple] sortes de monstres qui préparent l’avenir sans nous, à notre insu, et grâce aux informations que nous leur fournissons, confiants, ignorants, nous effrayent. »

… nous pourrions facilement remplacer « GAFA » par « dieux » de l’Homme (auto)domestiqué ; et inclure à ces dieux l’Intelligence Artificielle quand d’outil elle devient un mythe, comme déjà certains couteaux de silex de l’Âge de pierre.

 

Ces dieux, ces Maîtres qui d’une part nous effrayent mais qui d’autre part préparent notre avenir en échange de l’offrande de des informations (et des €/$) que nous leur fournissons directement ou indirectement.

 

Les GAFA et l’IA ne sont-elles par en train de devenir les nouveaux Maîtres de l’Homme domestiqué

 

      Laissons nos nouveaux Maîtres pour revenir à la frayeur d’Isabelle Musnik

« À notre insu », peut-être, mais certainement pas « sans nous ».

Ceux qui, comme moi, recherchent sur Internet des textes scientifiques ou philosophiques ne sont qu’une infime minorité, sans intérêt commercial.

 

Comme tous bons maîtres, les GAFA ne font, pour l’essentiel, que répondre aux besoins les plus simples de leurs domestiques (= nous) …

 

... auxquels il convient d’ajouter, plus spécifiquement pour Apple, notre recherche d’une élévation de ce que je définis comme une Beauté sociale.

       Ces besoins primordiaux sont dirigés par notre cerveau archaïque (limbique et reptilien), nous ne sommes donc loin de l’humanité de notre intelligence !

     Au moins avons-nous la faiblesse de le croire.

Même si la plupart des philosophes ont toujours essayé de le nier, une observation biologique objective montre qu’Homo sapiens met son intelligence au service de son animalité (pour Schopenhauer le cerveau est même un « parasite » de notre corps). Les monstrueux GAFA et l’effrayant IA ne feraient donc qu’accompagner, voire encourager, avec nous, notre animalité.

« Tous scandalisés que nous sommes par le mépris révélé de nos libertés par les big tech » ajoute Nathalie Devillier.

L’origine hippie, voire libertaire, des fondateurs de la plupart de ces sociétés californiennes m’avait fait douter qu’elles puissent avoir un mépris quelconque envers nos libertés,

  Emmanuel Todd m’a ramené à la réalité : « Fondamentalement, ils [les surdiplômés] sont pénétrés d’un sentiment de supériorité intellectuelle et ne peuvent à ce titre que mépriser le bas peuple [puisque celui-ci est] fermé aux valeurs de tolérance internationale et sexuelle » … «… en Angleterre …  Academia [terme générique utilisé par Todd pour définir les élites intellectuelles et tout le système universitaire] est de gauche, mais elle n’aime plus le peuple, les chavs (prolos incultes) »

« … en France, ...  Academia, toujours de gauche, y représente aussi sans doute un des pôles les plus conformistes de la société » (Où en sommes nous ? chez Seuil, pages 340-1)

Pour la France, je peux apporter mon témoignage où comme d’universitaire, j’ai été frappé du mépris des chercheurs (évidemment de gauche), y compris des jeunes thésards, envers les techniciens et le « petit personnel ». Je crois que j’étais le seul du bâtiment à saluer la femme de ménage par un “Bonjour Madame”, c’est du moins ce qu’elle m’a avoué. 

Il est par contre difficile d’imaginer que les GAFA aient du mépris envers une humanité qui leur fait ajouter chaque année des millions de $ à leurs chiffre d’affaires (par exemple pour Google, près de 100 millions), même si ces profits proviennent de ce qu’il y a de plus animal en nous !

       Comme avec la main invisible d’Adam Smith, la conjoncture de ces fantastiques quantités de dollars pourrait être une des clés du mystère de l’Intelligence Artificielle.

Revenons sur le « Tous scandalisé » de Nathalie Devillier.

« Tous scandalisés que nous sommes par le mépris révélé de nos libertés par les big tech »

     Quand je demandais, à mes étudiants en philosophie à l’INSA (école d’ingénieurs) s’ils étaient scandalisés que leurs données personnelles soient incluses dans les big data, ils me répondirent spontanément qu’ils « n’avaient rien à cacher ».

Je fus surpris par cette réponse, mais à la réflexion, et moi, suis-je vraiment scandalisé que les big data connaissent mes recherches sur Gilgamesh

et la ferroélectricité des protéines ? Cela me ferait plutôt sourire.

 

 

 

Et à la question, également de Nathalie Devillier : « Mais nos enfants, eux l’ont-ils bien compris [comment les GAFA… transforment leurs données en or] et surtout les plus jeunes entre les mains desquels nous laissons nos téléphones ou nos tablettes ? »
La réponse est :  oui, et ils sont indifférents à cette transmutation.

« … l’accès à leurs données, l’effacement », « la protection de sa vie privée à titre individuel », peu leur importe.

 

Un Maître-Dieu sait tout sur l’Homo sapiens domestiqué, y compris sa vie privée et même ses fantasmes, les maîtres GAFA ne répriment pas, ne châtient, ils orientent, et s’ils promettent un paradis, c’est uniquement celui qu’ils proposent.

Il ne faut donc pas trop compter sur la nouvelle génération pour mettre « en pratique le règlement [général pour la protection des données personnelles] dans son entreprise. »

Mais, c’est dans « nos enfants » que je vois ce qui effraie le plus profondément Nathalie Devillier, et le subconscient nous tous.

Le premier niveau social est la famille, et la première préoccupation des parents est le bonheur de leurs enfants.

Ceux qui en doutaient auraient été soumis à la sanction de la biologie de l’évolution, et l’espèce Homo sapiens se serait éteinte.

 

Ce bonheur vu par les parents est un objectif plus confortable à satisfaire quand les enfants restent parmi les Régnants, mais plus difficile à assumer quand ils deviennent des Rebelles/Conquérants.

 

    Et si le fondement de l’anxiété vis-à-vis des GAFA n’était autre que de voir ses enfants, happés et engloutis par l’Intelligence Artificielle ? De voir ses enfants échapper à l’ordre des Régnants et devenir des Rebelles incontrôlables ?

L’angoisse parentale jaillit douloureusement devant le champ quasi infini les sites Internet auxquels l’enfant, ou pire l’adolescent, peut avoir accès.

 

Les Maîtres GAFA promettent le paradis, mais leur monde pullule de démons.

 

Nous avons tous en tête l’extrême de ces rébellions, celles où les enfants sont absorbés par des sectes, des organisations terroristes, … 

Mais cela peut commencer avec des disciples de Socrate, celui-ci fut accusé de corrompre la jeunesse, notamment en encourageant un fils d’artisan tanneur à ne pas reprendre le métier de son père. Par malchance pour Socrate, ce père fut tiré au sort pour être un des juges de son procès.

   Depuis que les oligarchies des premiers Homo sapiens domestiqués se sont structurées, la préoccupation des Régnants est de cadrer les connexions que peuvent avoir leurs enfants. Même si elle reste virtuelle, la Toile a fait exploser ce cadre. 

Ne faudrait-il pas commencer par apprendre aux parents à rester sereins et apprendre, eux-mêmes, Internet (et l’IA) aux enfants et aux adolescents ?

Une entreprise se confond parfois avec une famille, et les préoccupations de Beauté Sociale des Régnants ne sont pas sans rappeler les « métiers/corporations » des « humains communicants », tels que les rappelle Isabelle Musnik :

« Nos métiers, plus que tout autre, sont au centre de l’IA puisqu’ils concernent l’information, la communication, la réputation, le marketing, la distribution, les ressources humaines. »

Je pourrais plagier mon résumé de la leçon 19 de l’École de la Beauté par

« Sans la Beauté sociale, les humains communicants, seraient isolés du reste de l’humanité dans un état « pire que la mort ».
Mal connus et mal utilisés, Internet, les réseaux sociaux et l’IA peuvent être plus mortels que la
nota censoria des Romains ? »

       Quand Isabelle Musnik définit le rôle majeur des communicants comme étant « de maîtriser les connaissances pour évacuer les peurs de leurs clients [enfants]; de contenir les enthousiasmes disproportionnés de leurs clients [enfants] trop prompts à vouloir tout changer ; d’insister auprès d’autres sur l’absolue nécessité de plonger ; d’aider leurs clients [enfants] à s’équiper d’experts de l’IA.

De leur côté, les annonceurs, les retailers et les médias doivent apprendre à maîtriser l’intelligence artificielle pour mieux se consacrer à leurs clients [enfants], à leur apporter de vrais services. »

... il m’a été facile de remplacer clients par [enfants] !

D’un autre coté, celui des Conquérants, l’explosion de ce cadre offre d’immenses océans nouveaux à conquérir par les Rebelles.

Steve Jobs n’était-il pas un hippie, un rebelle ?  

Pascal Picq (cité par Camille Lingre dans Intelligences artificielles et homo sapiens, l’amour fou ?) voit une autre raison à notre angoisse :

« Nous sommes très anxieux car nous avons peur que l’Intelligence Artificielle prenne la place des Hommes : un archaïsme anthropologique qui manque de réflexion, centré sur l’Homme seulement et non sur la société »

Pascal Picq conclut magnifiquement : « Nous devons nous percevoir comme les artisans du monde qui vient. »

La richesse de ces propos mérite une double analyse : 

 

D’abord le panache de cette injonction est exactement celui des Conquérants

Dans ses commentaires, plus prosaïquement Camille Lingre parle « de coopération et de donner du sens à l’utilisation faite des intelligences artificielles. »

Si les philosophes ont souvent mis en avant l’égoïsme de l’Homme, l’un d’eux, et non des moindres (Aristote), a quand même admis que l’Homme est un animal politique.

Plus prudemment, en biologiste, tenant compte qu’au cours de son existence Homo sapiens connaît entre 150 et 300 individus, tandis que pour Homo Neanderthalensis ce nombre se limitait à une dizaine de ses congénères, j’observe que quand il s’est (auto)domestiqué, l’Homme est un devenu un animal social, voire politique.  

      La moindre aptitude sociale de l’homme de Neandertal que son cousin sapiens a été sanctionnée par la biologie de l’évolution (c'est une des sanctions proposées) : seul le second a persisté

Homo sapiens a donc toutes les aptitudes pour cette "coopération".

       « donner du sens » n’est-ce pas commencer à faire preuve d’intelligence … naturelle, celle qui nous éloigne allègrement de l’anxiété devant une Intelligence Artificielle qui prendrait la place des Hommes ?

Cette coopération, la Toile nous en donne justement une possibilité quasi infinie … sauf que tout le monde pourra y avoir accès, y compris des intelligences mal intentionnées. Voir § ci-dessous

Ensuite, examinons cette « peur que l’Intelligence Artificielle prenne la place des Hommes : un archaïsme anthropologique qui manque de réflexion »

Si l’Homme domestiqué a peur, c'est dans la recherche d'un Maître vers lequel le pousse son « archaïsme anthropologique ».

« manquant de réflexion », plus ou moins confusément, il perçoit l’Intelligence Artificielle comme un maître, un nouveau Maître.

 

Et si ce Maître, préférait l’IA à Homo sapiens ? S’il voulait remplacer l’Homme par l’IA, ou plus dramatique, si le Maître rétrogradait socialement les enfants des Régnants qui ne savent pas se prosterner suffisamment devant l’IA ?

 

Et si la réalité de l’Intelligence Artificielle était de renforcer les inégalités, entre les individus, les familles et … les entreprises ?

 

Pour suivre l’analyse, lucide et franche, d’Emmanuel Todd, l’IA renforcera les inégalités entre ceux dont l’éducation supérieure permet de la maîtriser et les autres, les chavs.     

     Avec pour premier corollaire un surcroît d’angoisse des parents devant la perspective d’un déclassement pour eux, et pire pour leurs enfants.

… et comme deuxième corollaire, positif celui là : l’IA donnera des possibilités presque infinies aux Conquérants.

 

Est-ce vraiment la protection des données personnelles qu’il faut privilégier ? N’est-ce pas plutôt l’ensemble de ces données personnelles ?

 « Le renouvellement par la cour du FISA (Foreign Intelligence Surveillance Act, loi sur la surveillance et le renseignement) pour 6 ans … par Donald Trump et l’adoption en catimini du CLOUD Act … doivent, selon Nathalie Devillier, susciter notre colère et surtout une réaction de l’Union européenne. »

Cette colère est d’autant plus légitime que Intelligence, c’est aussi

« secret information about the governments of other countries, especially enemy governments, or a group of people who collect and deal with this information

(Cambridge Advanced Learner's & Thesaurus © Cambridge University Press)

C'est-à-dire le « renseignement ». Or l’espionnage ne concerne pas seulement les secrets militaires et technologiques des « ennemis » mais des informations beaucoup plus globales et intimes.

     Dans La Chute finale, publié en 1976, Emmanuel Todd (déjà lui !) prédit la décomposition du système communiste et sa chute inéluctable « simplement » d’après la hausse de la mortalité infantile en Union soviétique.

 

À la même époque, j’ai connu un « vrai » espion dont la principale activité était de lire les journaux et de faire les recoupements « intelligents ».

 

Avant les satellites et l’informatique, le laboratoire universitaire du « Tapis végétal et des conditions écologiques) » produisait des photographies aériennes de certaines régions agricoles étrangères. J’ai appris plus tard que reprises par les services de renseignement, ces photographies pouvaient prédire des famines donc des désordres politiques.

Aujourd’hui, avec toutes les informations échangées de par le monde entre les Internautes et par Smart phone, aucune intimité non seulement d’un individu mais d’un état ou d’une région n’échappe à une Foreign Intelligence Surveillance.

 

   Google est par exemple informé du début d’une épidémie de grippe bien avant le ministère de la santé et l’organisation mondiale de la santé !

 

Que la collecte et le traitement des informations par le FISA suscite de notre part une sainte colère, oui. Mais qu’elle peut être la « réaction de l’Union européenne. » ?

La déclaration de Jean-Claude Juncker est sans illusion :

« Garantir, dans l’économie en ligne, un environnement équitable, prévisible, durable et suscitant la confiance ».

Le président de la Commission européenne a au moins l’avantage d’être pragmatique puisque aucune information sensible n’échappe à la Surveillance, il reste la confiance, base de toute relation humaine qu’elle soit entre individus ou entre états.

- L’Intelligence Artificielle n’est qu’une super-super machine qui ne fait guère plus que des statistiques, des tris et des index

- Dans cette boîte noire un humain doit naturellement entrer les bonnes données

et doit intelligemment utiliser les données qui sortent.

- Ces « bonnes » données à entrer (y compris les échantillons pour un apprentissage profond) nécessitent une analyse profonde qui peut rendre superflue le … recours à l’Intelligence artificielle !

- Comme tout machine son fonctionnement doit être vérifié par un Contrôle de qualité, et notamment l’indice de confiance, qui doit être au minimum de 95%.

Retour vers la page
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article